268 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 juillet 1789.] et Meulan, qui annoncent l’établissement de leurs gardes bourgeoises ; des déclarations de la noblesse du bailliage deGien et du comté de Mâ-connois, qui donnent aux pouvoirs de leurs députés une extension illimitée. M. Gouttes, curé d’Argilliers, a fait le rapport de la députation de M. le cardinal de Rohan, évêque de Strasbourg, pour le bailliage d’IIague-nau et de celle de M. l’abbé Boug, nommé sou suppléant. M. Gouttes. Messieurs, M. le cardinal de Rohan, nommé d’abord par acclamation par tous les membres du clergé du bailliage d’Haguenau, est ensuite élu par la voie régulière du scrutin. Le lieutenant général du bailliage lui apprend son élection ; il répond en ces termes : Ma santé ne me permet pas d’accepter, les gens de l’art ne m’en font pas espérer une meilleure de plusieurs mois ; je ne renonce pas cependant à aller aux Etats généraux. M. l’abbé Boug, nommé son suppléant, consulte M. le garde des sceaux, qui répond, le 24 mai, que la lettre de M. de Rohan contient un refus exprès; qu’un député absent et qui ne peut pas se rendre doit être remplacé par son suppléant, sans qu’il puisse jamais plus faire valoir les droits de son élection. M. le cardinal est instruit de la réponse de M. le garde des sceaux. Il' était à Saverne, où il s’empresse de consigner devant un notaire sa protestation contre cette décision ; et il fait connaître son intention d’aller aux Etats généraux, lorsque les causes qui l’en empêchent auront cessé. Un règlement du 3 mai avait décidé qu’un suppléant ne serait admis à remplacer un député que dans le cas de mort de celui-ci, ou d’une démission formelle. M. le cardinal n’a point donné sa démission ; il est vrai qu’il n’a pas accepté expressément, mais' il s’est réservé la faculté d’aller aux Etats généraux, lorsque la maladie, qui tenait plutôt à des causes politiques que physiques, lui permettrait de so rendre à son poste. M. le rapporteur dit que la majorité des membres du comité est d’avis qu’il faut écrire à M. le cardinal, pour savoir s’il accepte ou s’il refuse la députation. M. l’abbé Boug défend lui-même sa cause dans un discours assez long. M. ***. La loi doit être une barrière insurmontable, et rien ne peut et ne doit autoriser à la franchir. 11 faut donc que désormais chaque ministre soit responsable, non-seulement des maux qu’il fait, mais encore de la suspension du bien qu’il empêche de faire aux autres, et toute tyrannie doit être marquée au sceau de la réprobation. Trop longtemps le cardinal de Rohan a gémi sous le glaive du despotisme ; il est temps de briser les chaînes d’un prélat qui brûle de partager avec vous les pénibles fonctions de votre sacré ministère, et de contribuer par ses efforts à la régénération du royaume et au grand œuvre de la constitution. En vain M. Boug a-t-il prétendu qu’il ne s’agissait, dans les articles du règlement, que de ceux qui avaient déjà exercé la députation. Un mandataire, a-t-il dit, n’est censé mandataire que lorsqu’il est chargé de mandais; un député ne doit conséquemment être réputé tel que lorsqu’il a exercé la députation. Get argument, tout spécieux qu’il est, ne peut arrêter l’Assemblée. Un membre de la noblesse combat vivement les prétentions de M. l’abbé Boug. 11 fait ce dilemme: M. le cardinal a accepté ou non accepté. Dans ces deux cas, les prétentions du suppléant sont mal fondées. S’il a accepté, pourquoi M. Boug vient-il se présenter? S’il ne l’a pas fait, si sa non-acceptation était commandée, donc ce refus n’en est pas un. Le droit du garde des sceaux est absolument nul ; il n’avait pas droit de prononcer sur une pareille question. On remarque que la cause de M. le cardinal trouve de nombreux partisans parmi les députés des communes, qui le considèrent comme une victime de la tyrannie. Ils observent que son silence même ne peut être interprété ; qu’il faudrait, delà part de ses commettants, une acceptation formelle de son refus ; qu’il a bien soin d’agir ainsi, puisqu’il a protesté légalement contre l’injustice qu’on lui faisait de le priver d’un droit qu’il ne devait qu’au choix de son clergé pour le représenter aux Etats et stipuler des intérêts. Ges observations ne sont pas également goûtées des membres delà noblesse et du haut clergé. — Au moins remarque-t-on qu’ils craignent d’énoncer un avis contraire aux sentiments de la cour. Un grand nombre des premiers quittent les gradins pour ne pas délibérer. M. Iflébrard. On a conclu que M. le cardinal n’ayant point accepté, il y avait un refus formel. Rétorquez l’argument : il a été forcé de ne pas accepter; donc cette espèce de refus est une vraie acceptation. Il a consigné l’acte de son acceptation par sa réclamation entre les mains du président de son ordre, La déclaration de M. le cardinal, de ne point renoncer à la faculté d’entrer aux Etats généraux, milite contre les prétentions du suppléant et contre ses procédés. Jamais une maladie n’a exclu un homme des droits librement acquis par le vœu de ses commettants à les représenter aux Etals généraux et à y stipuler leurs intérêts ; c’est vouloir pervertir les intentions des commettants, et dire qu’ils n’ont pas voulu ce qu’ils ont voté; c’est une absurdité énorme. Je conclus donc que, ni M. le lieutenant général, ni le suppléant, ni le garde des sceaux, ne pouvaient aller contre le vœu du clergé d’Alsace. M. de Montmorency dit qu’il est chargé par ses commettants de réclamer contre la lettre d’exil qui retient M. le cardinal. Il pense qu’un pareil ordre ne peut pas empêcher un député de se rendre à une Assemblée libre. M. Le Belletier de Saint-Fargean conclut pour l’admission de M. de Rohan, attendu qu’il n’a pas refusé formellement. Je m’applaudis, ajoute-t-il, d’avoir opiué deux fois pour le soustraire aux vexations du pouvoir arbitraire. M. l’abbé d’Eymar (1 ). Messieurs, ce n’est point l’acte de députation qu’on attaque, lorsqu’on (1) Le discours de M. l’abbé d’Eymar n’a pas ëlé inséré au Moniteur. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 269 [Assemblée nationale.] cherche à annuler celle de M. le cardinal de Rohan aux Etats généraux .• deux fois consécutives il a été nommé par son clergé, et par acclamation, et par la voie du scrutin : présent et absent, l’unanimité s’est réunie en sa faveur; et il est impossible, je ne dis pas de lui enlever, mais d’affaiblir même, quand on le voudrait, ce témoignage flatteur et authentique de l'attachement et de la confiance de son clergé. Sur quoi roule donc, et sur quelle base est appuyée la difficulté qu’on élève pour priver M. le cardinal des fonctions dont nous l’avons revêtu, et rie la procuration que nous avons voulu lui confier? On vous produit les termes d’une lettre qu’il a répondue à M. le lieutenant général du bailliage, lorsque celui-ci lui a annoncé la nouvelle de la seconde élection; ces expressions ont fait élever les doutes qu’on produit à votre tribunal : ils ont provoqué la décision ministérielle de M. le garde des sceaux ; ils ont enfin déterminé le suppléant de M. le cardinal de Rohan à se présenter à vous, pour occuper la place de député. Je vous prie, Messieurs, d’observer que lorsqu’on a eu des doutes sur l’intention réelle de M. le cardinal de Rohan, il aurait été tout simple de l’interrogpr à diverses reprises, et de le faire expliquer : on a mieux aimé laisser ignorer dans le moment à M. le cardinal, que le règlement du 3 mai, antérieur de neuf jours seulement à la seconde élection, n’admet de suppléant aux Etats généraux, que dans le cas seul de la mort du député; règlement qui suffirait aujourd’hui pour fixer votre jugement, si des motifs plus pressants et plus péremptoires encore ne venaient à l’appui de ma demande. Qu’est-ce que la députation aux Etats généraux? G’est, je crois : 1° un choix librement fait par une portion déterminée des citoyens, de celui d’entre eux auquel ils veulent confier leurs pouvoirs, leurs mandats, et la défense de leurs intérêts; 2° c’est l’acceptation libre de ce même choix. Qr, Messieurs, voyez, je vous prie, et pesez dans l’équité si ces deuxconditions ne se trouvent pas entièrement remplies dans les deux actes d’élection de M. le cardinal de Rohan. Je ne parlerai pas du premier, quelque glorieux qu’il soit à sa personne, et quelque avantageux qu’il fût à sa cause; il était présent, et on serait peut être tenté d’en conclure une influence contre laquelle cependant a été sagement opposée la barrière du scrutin; mais je pars du point de la seconde élection. A l’époque du 13 mai, M. le cardinal était absent, et malade : il est choisi et élu, comme la première fois, par la double voie de l’acclamation et du scrutin : il en est instruit le même jour, ar une lettre de M. le lieutenant général du ailliage; et il y répond le lendemain celle qu’on cite aujourd’hui comme la preuve de son refus, et que je vous présente au contraire, Messieurs, comme celle de son acceptation. Malade, souffrant et alité, M. le cardinal a-t-il pu ne pas répondre que sa santé ne lui permettait pas, dans ce moment , de faire hommage au clergé de son zèle, et du désir qu’il avait de lui être utile; mais qu’il ne renonçait pas à la faculté de pouvoir aller aux Etats généraux, lorsque sa santé lui en laisserait la possibilité ? Voilà les termes exprès de sa lettre, auxquels, ignorant le règlement du 3 mai, il ajoute que M. l’abbé Boug, nommé son suppléant, peut, en attendant son rétablissement , exercer les susdites fonctions, conformément au vœu du clergé. [24 juillet 1789. Voilà, Messieurs, ce qu'on a cru pouvoir traduire au tribunal de la nation, comme un refus formel; voilà ce qu’une lettre ministérielle de M. le garde des sceaux prononce comme tel aussi, en disant que l'élu absent n’a pas le droit de différer son acceptation , et que si, à raison de quelque empêchement, il n’accepte pas la députation •au moment où elle lui est déférée, le suppléant prend sa place, qu'il demeure seul député, sans qu'on puisse douter de son droit, et sans qu'il en reste aucun à la personne ainsi remplacée. Quoi! l’esprit du règlement porte sur la santé physique de l’élu député, au moment où on lui annonce son élection! Si, au moment où on est averti de la mission importante qui nous est confiée, on est malade, par là même on est incapable, et déclaré inhabile à la remplir. Et quel est le mot du règlement du 24 janvier, qui annonce ou qui désigne une pareille disposition? Quel est même celui des articles suivants ou précédents, dont on puisse induire une pareille conséquence? Et pourquoi n’a t-on pas exclu aussi une quantité (le députés qui, pour les mêmes raisons que M. le cardinal de Rohan, n’ont pu se rendre que très-tard aux Etats généraux? Ils avaient des suppléants aussi, qui se sont présentés, mais qui, en vertu du règlement du 3 mai, n’ont pu être admis. Au moment encore où j’ai i’honneur de parler, il est plusieurs députés que des raisons de maladie ou d’autres obstacles ont forcés à ce retard; il en est qui, admis depuis quelques jours, n’ont pu l’être qu,’en présentant un acte formel de refus de celui dont ils étaient suppléants. Toute la différence qu’il y a entre M. le cardinal et ceux des députés qui se sont trouvés malades au momentde leur élection, c’est qu’il a déclaré ne pouvoir partir dans l’instant, et que les autres ne l’ont pas dit: mais en a-t-il moins manifesté son véritable dessein? Dailleurs, Messieurs, un choix et une acceptation de la na-turede ceux dontil s’agit, sont ils donc des actes de rigueur, accompagnés d’un piège pour les électeurs et pour l’élu? Si l’intention réelle des premiers est claire, manifeste et libre, si celle du second le devient par des actes subséquents, doit-on faire dépendre l'effet de cette volonté sacrée d’une interprétation équivoque et d’une décision forcée? Les deux élections de M. le cardinal de Rohan à Haguenau établirent clairement et irrévocablement l’intention et la confiance absolue du clergé d’Alsace. On a douté, ou voulu douter du dessein et de l’intention de M. le cardinal de Rohan, et on a dit de sa réponse : puisqu’il n'accepte pas formellement et dans l’instant , il refuse; mais, Messieurs, il serait aisé de rétorquer, et de dire : puisqu’il n'a pas refusé formellement, il accepte; et j’aurais d’autant plus de droit à ce raisonnement, qu’il se réserve expressément, comme vous l’avez vu, la faculté de venir occuper sa place. Mais ai-je besoin de cette ressource? M. le cardinal de Rohan, instruit du doute répandu, surpris d’une décision si contraire à sa propre conscience, s’est hâté d’éclairer les incrédules, et il a consigné devant un officier public l’acte le plus authentique de son acceptation : il est du 4 juin; je l’ai déposé, Messieurs, entre les mains des commissaires vérificateurs; je leur ai remis de plus une déclaration du comité établi à Strasbourg par l’assemblée générale des électeurs ecclésiastiques des deux districts, pour correspondre avec les députés, pendant la tenue des Etats généraux, et au besoin, leur faire connaître les sentiments du clergé de la province. Cette déclaration condamne formellement, et désavoue ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 juillet 1789.] [Assemblée nationale.] 270 les efforts du suppléant, comme contraires à l’esprit du clergé d Alsace, dont le vœu constant à été et est encore de se voir représenter par son prince-évêque : elle prononce que M. l'abbé Boug n’est point fondé a soutenir son prétendu droit d'assister comme député ; et qu’il est au contraire dans le cas de se retirer , à moins que M. le cardinal ne fasse un refus formel et positif. Ce sont laies paroles expresses de la déclaration. Si ces témoignages ne vous paraissaient pas suffisants, Messieurs, je vous demanderais la permission d’y en joindre deux autres, qui me sont adressés directement par M. le cardinal de Rohan. L’un est une lettre, et l’autre une procuration en règle pour faire connaître à l’Assemblée nationale ses vrais sentiments et la réalité de son acceptation. Je la crois entièrement démontrée, Messieurs, par la réunion des preuves unies sous les yeux de vos commissaires, et par l’analyse que je viens d’avoir l’honneur de vous présenter. Il vous reste à décider si une lettre ministérielle peut et doit faire changer de nature à des intentions respectives si clairement et si énergiquement manifestées; si un obstacle involontaire et momentané, tel qu’une maladie, doit priver un citoyen distingué et adoré du peuple dans sa province, de venir au milieu de vous concourir au bien général du royaume, et répondre à la confiance du corps nombreux qui la lui témoigne; s’il dépend enfin d’un ministre d’ajouter, après coup, à un règlement simple, tel que celui ;du 24 janvier, une clause aussi étonnante que celle dont vous avez entendu la lecture, ou un commentaire si étranger au texte, qu’il intervertit les intentions, et leur impose la singulière nécessité de ne pas avoir voulu ce qu’elles ont voté. Car enfin, Messieurs, supposez même qu’il se fût trouvé quelque ambiguïté dans la réponse de M. le cardinal de Rohan à l’époque de la seconde élection, ce doute ne partait nullement, et il n’est jamais parti de la part des électeurs et du corps ecclésiastique de la province, vraies et seules parties intéressées : il était concentré dans la personne du lieutenant général du bailliage et du suppléant, qui seuls ont interrogé M. le garde des sceaux, et seuls ont provoqué la décision sans laquelle il n’existerait aujourd’hui aucune difficulté. Quels sont, en ce moment, les adversaires de M. le cardinal de Rohan ? C’est M. l’abbé Boug seul, son suppléant, muni de la lettré de M. le garde des sceaux ; vous ne lui en trouverez pas d’autres. Le clergé nombreux qui a élu ce prince pour son représentant, condamne et désavoue, par l’organe de son comité, et le suppléant et la décision qui le fait agir ; il renouvelle et répète, de la manière la plus positive et la plus flatteuse, son premier, son second et son troisième vœu ; il qualifie le droit de suppléant de droit prétendu, tant qu’il ne sera pas le porteur du refus formel de son député, et il confesse qu’il a toujours reconnu dans sa lettre du 14 mai, une acceptation et non un refus. Or, daignez observer, Messieurs, que le suppléant de M. le cardinal de Rohan ne peut sfé-tayer ni du suffrage de nos commettants, ni de celui de M. le cardinal lui-même ; il ne lui reste, pour se présenter avec quelque apparence de droit, il faut que je le répète, que la lettre de M. le garde des sceaux ; et cette lettre, encore une fois, est ouvertement en contradiction avec le vœu des électeurs et de l’élu. Je suppose un instant, Messieurs, qu’elle n’eût pas été écrite, et que par conséquent lesuppléant nommé eût attendu, soit en Alsace, soit à Versailles, le rétablissement de la santé de M. le cardinal de Rohan : que serait-il arrivé? Rien autre chose, sinon, que M. le cardinal serait ici depuis quinze jours environ, époque de sa guérison; qu’il y aurait précédé plusieurs députés qui y sont arri-vésdepuis. et d’autres qui n’y sont point encore, et que la discussion qui prive notre province d’un représentant, et qui consume des moments précieux à cette Assemblée, n’aurait pas eu lieu, puisque le clergé d’Alsace était bien loin de soupçonner que l’acceptation de son député fût un problème. Ceci répond, Messieurs, à l’objection qui pourrait être faite, pourquoi M. le cardinal ne s’est-il pas rendu à l’époque de sa guérison ? M. le cardinal est élu le 13 mai ; il accepte le 14, en avouant qu’il ne peut partir dans le moment : on interroge M. le garde des sceaux, qui répond le 24, et on est instruit de sa décision le 28 ou 29 à Strasbourg. M. le cardinal, à Saverne, la connaît le lendemain ; et dès le 1er ou le 2 juin, il se hâte de consigner, par-devant notaire, la protestation et l’expression de sa volonté, et il continue d’écrire le 4, le 8 de ce même mois sa surprise et son intention. Une fois la contestation élevée, Messieurs, et portée au tribunal de l’Assemblée nationale, peut-on faire un crime à M. le cardinal de Rohan de n’être pas venu soutenir lui-même sa cause ? C’est comme si on voulait prouver qu’un chagrin et une peine de plus ont la vertu de hâter la guérison d’un malade : je ne puis croire, Messieurs, que cette objection puisse trouver grâce devant un seul membre de cette auguste Assemblée. Je laisse donc à votre justice et à votre sagesse, Mëssieurs, de prononcer, ou, pour mieux dire, je les invoque l’une et l’autre, bien persuadéqu’elles ne peuvent vous inspirer qu’un jugement conforme aux lois que vous venez établir, et à l’ordre nouveau dont vous vous proposez d’étendre l’heureuse influence sur toutes les parties. Et certes, Messieurs, ceci ne touche-t-il pas à la base du monument que vous voulez élever à la liberté? Si je ne m’abuse point, c’en est ici la première pierre, et je viens en faire hommage au patriotisme ; je la crois digne d’être adoptée par vous, je la crois propre à concourir à la solidité et même à l’immortalité de votre ouvrage. Com-mencez-le par la consécration d’un principe sans lequel l’ombre et l’image même de la liberté n’existeraient jamais; parez-en le frontispice de votre législation : c’est qu’il sera élevé entre l’arbitraire ministériel et la loi une barrière insurmontable : c’est que toutes les volontés seront soumises à l’action de la règle établie, qui contiendra dans les bornes assignées tout dépositaire du pouvoir exécutif : c’est enfin que chacun de ces mêmes dépositaires sera responsable, en son propre et privé nom, de tout ordre, de toute décision, qui, signée de lui, aura troublé ou suspendu le cours ordinaire de la loi, C’est en proclamant et en donnant de l’activité à ces principes, que vous extirperez jusque dans leurs racines, ces abus multipliés de l’arbitraire ministériel, auxquels il est impossible de ne pas attribuer l’origine de nos maux et la cause de désastres : c’est en opposant dès aujourd’hui le sceau de l'improbation sur l’un de ces actes irréguliers, que vous arrêterez le cours, et que vous en proscrirez l'usage contagieux. M. le cardinal de Rohan, rétabli aujourd’hui, mais plus fort de son zèle que de sa convalescence, .aurait en ce moment, l’honneur et l’inex- ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] [24 juillet 1789.] 374 primable satisfaction de se trouver au sein de l’Assemblée nationale, si le vœu flatteur qui l’y appelle n’était intercepté par la décision erronée qui provoque et a fait naîlre la contestation actuelle. C’est à vous. Messieurs, à faire triompher le vœu de la liberté ; c’est à vous à protéger de votre justice le citoyen que l’arbitraire, par un dernier mais condamnable effort, cherche peut-être à retenir dans les liens pour serrer un instant encore le bout de la chaîne que vous êtes bien décidés sans doute à briser en entier : c’est à vous à procurer aux deux élections de M. le cardinal de Rohan leur plein et entier effet, aujourd’hui que ses forces lui permettent de se réunir à vous, et de partager les soins et la gloire attachés à nos pénibles fonctions : c’est enfin à vous à prononcer un arrêt que son zèle, sa position et sa reconnaissance lui feront également une loi de mettre promptement à exécution. On demande à aller aux voix. M. le Président les recueille : 657 voix contre 37 prononcent l’admission de M. le cardinal de Rohan. M. l’abbé Boug ne pourrait être admis que sur le refus de M. le cardinal. M-Ilébrard fait le rapport de la députation de la Bretagne. Voici succinctement Jes faits : Les communes et le clergé du second ordre de cette province, en vertu des règlements particuliers faits pour la convocation des Etats généraux, s’étaient assemblés par bailliages pour nommer leurs députés respectifs. Le diocèse de Saint-Pol-de-Léon fut le seul qui ne s’assembla pas. Pendant que les communes et le clergé du second ordre procédaient à leurs élections, la noblesse et le haut clergé , assemblés à Saint-Brieuc, protestaient contre la nomination des députés qui serait faite autrement qu’en corps d'état. La noblesse n’a point nommé ses députés; le clergé n’a point complété sa députation. Le comité a pensé que les élections faites par les communes et par une partie du clergé étaient valides, et que les députés élus devaient être admis dans l’Assemblée. M. de Beauinelz s’élève contre la prétention des provinces qui disent que les députations doivent être faites en corps d'état. La Bretagne, dit-il, n’est pas la seule où l’aristocratie a soulevé de telles prétentions ..... Tous les citoyens aujourd’hui ont les mêmes droits ; ce n’est pas un corps particulier qui doit jouir de l’avantage de la représentation au préjudice de l’universalité des citoyens ; c’est la Bretagne entière qui demande à être représentée et qui doit obtenir ce droit. Il conclut pour l’admission de la députation. M. de Gleizcn, député de Bretagne. Messieurs, la décision que vous allez prononcer sur la protestation d’une partie du clergé et de la noblesse de Bretagne, contre la députation du clergé et du peuple de cette province, eût été, ces jours derniers, bien plus intéressante pour nous. Agités tour à tour par l’espoir et la crainte, nous l’eussions attendue avec plus d’ardeur encore et de sollicitude. Vous n’avez plus, Messieurs, de dangers à courir. Votre patriotisme et votre courage les ont dissipés. Vous avez triomphé, par une constance inébranlable, de tous les obstacles qui s’opposaient au bien public. La constitution est censée faite ; oui, Messieurs, elle est censée faite, puisque le Roi s’en est remis à la sagesse de l’Assemblée nationale pour rétablir l’ordre et le calme dans son royaume , et créer, pour ainsi dire, la félicité générale, d’où dépend son propre bonheur. Le serment que nous avons eu l’hon-neui de prêter avec vous se trouve donc rempli. Si vous pouviez juger invalides les titres qui nous appellent à partager les fonctions et les travaux dont vous allez vous occuper pendant le reste de la session, nous aurions toujours eu la gloire d’être associés aux périls qui vous menaçaient, et nous jouirions, en retournant dans notre province, de la douce satisfaction de présenter à nos concitoyens le tableau fidèle de votre héroïque fermedé et de vos vertus. Pénétrés de l’admiration qu’elles nous ont inspirée, nous leur dirions avec transport, avec enthousiasme : Nous avons vu l’Assemblée la plus auguste qui ait jamais existé dans l’univers, l’élite des hommes les plus éclairés d’un vaste empire, disputant de zèle et d’activité pour établir sur des bases éternelles la félicité de vingt-cinq millions d’hommes. Nous leur dirions : Braves Bretons, vous venez de proclamer les arrêtés de l’Assemblée nationale, et celui même qui concerne la perception et la durée de l’impôt. Cet hommage rendu solennellement à ses décrets prouve que vous uuissez pour toujours vos destins à ceux de la France. Loin de songer, en effet, à détruire vos droits, vos franchises, l’Assemblée nationale veut , au contraire, les étendre et les consacrer par une constitution générale pour tout le royaume ; sous cette puissante égide, ils ne seront que plus inviolables. Nous leur dirions : Oubliez, s’il est possible, jusqu’au nom même qui vous enorgueillit; il désigne sans doute un peuple invincible, il exprime le besoin impérieux de la liberté, il caractérise le plus ardent amour de la patrie. Mais eus sentiments sont aussi vifs, aussi exaltés dans toutes les parties du royaume qu’en Bretagne. Considérez, ou plutôt essayez de croire ce qu’ont fait les intrépides conquérants de la Bastille I Ah ! Je plus beau nom, celui qui rallie aujourd’hui toutes les provinces, et que vous êtes dignes de porter, c’est le nom de Français ! Cependant, Messieurs, nous osons nous flatter d’être honorés cie vos suffrages et de voir confirmer notre élection. Ceux qui ont proscrit d'avance les antiques usages contraires aux droits de l’homme et du citoyen, ne peuvent pas faire cause commune avec les privilégiés de Bretagne. L’Assemblée la plus juste, la plus patriotique, ne rejettera pas la députation d’une grande province parce qu’un petit nombre d’individus a refusé d’y concourir, et que pour la première fois depuis des siècles le peuple a choisi ses représentants. (On applaudit.) Les députés de Bretagne sortent de la salle. L’Assemblée délibère sur la protestation de la noblesse et d’une partie du clergé. Elle est unanimement déclarée mal fondée. MM. les députés de Bretagne sont invités à rentrer dans la salle. Ils reparaissent au milieu des applaudissements universels. M. CoroIIer demande que l’Assemblée invite le clergé de Bretagne à compléter ses députations, et la noblesse à nommer ses députés. M. Chapelier appuie cette demande. Il dit que le haut clergé laisse sans influence et sans députation le clergé qui est le plus occupé et plus utile,