[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 août 1790.] 37 tigues perpétuelles, et d’enfants couverts de haillons, se voit condamné à n’éprouver jamais le plus petit sourire de la fortune et du bonheur. Eommes de peine, victimes innocentes de la misère, qui ne se nourrissent ni du peu de blé qu’ils récoltent, mais qu’ils échangent contre le seigle et l’orge, ni des veaux qu’ils engraissent avec tant de peines, ni des poulets qu’ils nourrissent avec tant de soins, ni des fruits, pois, fèves et asperges qu’ils cultivent avec tant de mal ; assujettis, tantôt à des récoltes surabondantes, où le trop modique prix de leurs denrées ne les remplit pas de leurs avances; tantôt aux calamités de la gelée, la sécheresse, la grêle, les inondations, la coulure et autres fléaux, leur peu de récolte se trouve absorbée par les frais immenses de culture, d’engrais, d’échalas, de tonneaux, par le fardeau des impôts, l’entretien d’une famille souvent nombreuse, par les redevances foncières, enfin par la perte des bestiaux ' et autres inévitables, ce qui en rend le joug dur et pénible, et en fait de toutes les conditions la plus misérable et la plus opprimée. Et après 30 ou 40 années de -mariage, de travaux, de peines et d’économie la plus sévère, ils se voient en proie aux infirmités de la caducité, sans avoir pu gagner de quoi repousser la misère la plus déchirante. 0 législateurs, protégez vos concitoyens ! Voilà, Messieurs, les maux que vous avez à soulager, c’est au nom de cent mille familles, tant de la campagne que de Paris que je sollicite votre justice. Déjà vos décrets ont soulagé l’agriculture : le pays vignoble de l’Isle de France attend celui que je vous propose. Daignez consommer votre ouvrage en rendant à cette classe la joie et le bonheur. Délivrez-la des entraves qu’elle éprouve et des vexations qu’elle essuie, et elle ne vous demandera plus rien. En favorisant l’agriculture, vous aurez favorisé du même coup le commerce, l’industrie, les arts et les impôts : Les Français vous béniront, l’Europe vous louera, et vous serez reconnus pour les plus grands législateurs du monde. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. D’ANDRÉ. Séance dit vendredi 13 août 1790(1). La séance est ouverte à neuf heures du matin. M. le Président. L’ordre du jour est la suite des rapports du comité des finances sur toutes les parties de la dépense publique, M. Lebrun, rapporteur, lit un projet de décret sur les dépenses du travail des bureaux. Après quelques courtes observations les articles suivants sont adoptés dans les termes proposés par le rapporteur, ainsi qu’il suit : Art. 1er. « Le traitement de 400 livres accordé au bailli de Versailles, comme commissaire du consul pour les droits d’aides, est supprimé. Art. 2. « La gratification de 1,800 livres accordée au sieur Genet, pour la traduction des papiers étrangers relatifs aux finances, est supprimée. Art. 3. « La gratification de 1,200 livres au sieur Giraud , directeur de la poste aux lettres à Versailles, est supprimée. Art. 4. « La dépense de la fourniture des calendriers aux divers bureaux de l’administration, est supprimée. Art. 5. « Les appointements du suisse du département de la maison du roi, renvoyés à la charge de ce département. Art. 6. « Le traitement de l’aumônier, du contrôle général, celui du chirurgien du même contrôle, les gages du concierge de l’hôtel du contrôle à Versailles, du suisse dudit hôtel, du suisse du contrôle général à Paris, l’entretien des réverbères desdits hôtels, supprimés de la dépense publique et renvoyés à la charge du ministre. Art. 7. « Le ministre de l’intérieur, le ministre des finances, quand il y aura des courses nécessaires, se feront fournir des courriers et des chevaux par la poste, sur des ordres signés d’eux, et datés ; « Et sur la représentation de ces ordres, il sera tenu compte de cette dépense aux maîtres des postes. Art. 8. « Les ministres feront tenir un registre dans lequel ces ordres seront portés à leur date, avec les raisons qui les auront motivés. » M. Lebrun, rapporteur , propose un projet de décret relatif au traitement du lieutenant et des deux gardes de la prévôté de l'hôtel servant au sceau et à la paye du cent-suisse qui y est attaché. Divers membres demandent l’ajournement et le renvoi au comité, afin que le projet de décret y soit examiné à nouveau. Cette motion est adoptée. M. Lebrun propose ensuite un projet de décret sur la dépense des monnaies. Les articles sont décrétés, sans discussion, ainsi qu’il suit : Art. 1er. « Les places de contrôleur général de la Monnaie, celles des deux inspecteurs généraux, sont supprimées. « Le traitement du contrôleur général et des deux inspecteurs généraux, renvoyé au comité. des pensions. Art. 2. « Le traitement viager du sieur Antoine, architecte delà Monnaie, est réduit à 3,000 livres et son logement. « La place d’inspecteur des bâtiments de la Monnaie est supprimée. Art. 3. « Il sera payé 1,200 livres au suisse, à chacun des deux portiers 400 livres, et pour le balayage des cours et des rues, 400 livres. Art. 4. « Les menues dépenses de la Monnaie sont supprimées. Art. 5. « La dépense delà comptabilité sera supprimée, à compter du 1er janvier 1791. * M. Lebrun, rapporteur. Le comité me charge de proposer à l’Assemblée de conserver à M. de Forbonnais, connu par ses travaux sur les finances, ses appointements à titre de retraite. M. Martineau. Je ne m’oppose point à cette libéralité qui peut être justifiée par les mérites de M. de Forbonnais, mais je demande qu’avant tout l’article soit renvoyé au comité des pensions pour y être examiné. (Cette proposition est adoptée.) M. Bailly, maire de Paris. Avant de parler du (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 113 août 1790.] 38 principal qui m’amène, je crois devoir vous rappeler l’arrêté du conseil de ville qui vous a été envoyé hier, relativement à la pétition qui vous a été présentée par quelques membres de la commune. Je suis porteur des arrêtés des trois sections : des Tuileries, de la Fontaine de Montmorency et de Louis XIV, qui toutes désavouent la même démarche. Le second objet dont je viens entretenir l’Assemblée est le suivant : Les finances de la ville de Paris étaient en bon ordre au mois de juillet 1789 ; la balance était si bien établie que tous les ans il restait un million pour des remboursements : depuis cette époque, les circonstances ont occasionné de grandes dépenses, d’où il résulte un épuisement momentané, mais total. Leroi, par un édit du 7 septembre 1785, a pris sur L s fonds appartenant à la ville une somme dont je viens aujourd’hui solliciter le payement. Voici le décret que je propose : « L’Assemblée nationale, ayant entendu la réclamation faite par le maire de Paris, des sommes que le Trésor public doit à la ville pour les avances faites par elle, et conformément aux dispositions de l’édit du 7 septembre 1786, décrète que ces sommes montant à 352,813 livres, lui seront payées par le Trésor public, après que la vérification aura été faite par le ministre des finances, et sauf rapport, s’il y a lieu. » Divers membres demandent le renvoi de ce projet de décret au comité de liquidation. D'autres membres proposent la question préalable. Ces deux motions sont rejetées. Le projet de décret est ensuite mis aux voix et adopté. Le sieur Vidal, maître de pension et professeur de Delles-lettres à Montélimart, département de la Drôme, fait hommage à l’Assemblée de la traduction des Géorgiques de Virgile et des Odes d’Horace en 2 volumes. L’Assemblée agrée cet hommage . M. le Président. Les comités réunis des finances, des impositions et des domaines proposent de mettre à la discussion le projet de décret qu'ils vous ont soumis sur les apanages. S’il n’y a pas d’opposition, je vais donner la parole au rapporteur. (Cette proposition est adoptée.) M. Enjubault, rapporteur ( 1), résume brièvement les principes de son rapport et donne ensuite lecture de l’article 1er en ces termes : Art. 1er « Il ne sera concédé à l’avenir aucuns apanages réels ; les fils puînés de France seront élevés et entretenus aux dépens de la liste civile, jusqu’à ce qu’ils se marient, ou qu’ils aient atteint l’âge de vingt-cinq ans accomplis ; alors il leur sera assigné sur le Trésor national des rentes apanagères, dont la quotité sera déterminée, à chaque époque, par la législature en activité. » (L’article 1er est mis aux voix et adopté sans discussion.) M. Enjubault donne lecture de l’article 2. (1) Voyez e rapport de M. Enjubault, Archives parlementaires. tome XVII, page 462. — Séance du 31 juillet 1790. Plusieurs membres demandent la parole. M. Oengy de Puyvalée (1). Messieurs , la question sur laquelle vous devez aujourd’hui fixer votre opinion, est une des plus importantes de celles que vous avez soumises à l’examen de votre comité des domaines. Chacun des membres qui le compose, également guidé dans ses recherches par le désir de répondre à votre confiance, vous doit un compte exact des raisons et des motifs qu’il croit propres à éclairer votre justice et à déterminer votre décision. Si, en parcourant la même carrière, les membres de votre comité sont parvenus à des résultats différents , ils sont assurés , Messieurs , que vous ne verrez dans la diversité dç leurs opinions que le même zèle pour la justice et le même amour pour la vérité. Vous avez à examiner si les domaines, donnés en apanage aux enfants de France, sont à la disposition de la nation ; si les représentants peuvent en décréter l’aliénation lorsqu’ils la croiront convenable à l’intérêt de l’Etat, et s’ils peuvent substituer à des domaines fonciers une rente sur le Trésor public. Dans la discussion de cette grande ét importante question, j’écarterai avec soin toutes les considérations incidentes dont on se plaît à l’envelopper. Je me bornerai à examiner la rigueur du oroit et la sévérité des principes , parce que l’intention de l’Assemblée est par-dessus tout d’être juste, et de connaître ce qu’elle doit, plutôt que ce qu’elle peut faire dans une circonstance surtout où la nation se trouve , pour ainsi dire, juge et partie. Il est nécessaire avant tout de se former une idée claire et précise sur ce que l’on entend par le mot apanage t L’apanage est une portion des domaines de la couronne, donnée aux fils puînés de France pour leur tenir lieu de leur part héréditaire, légitimais ou alimentaire. L’état politique des puînés de la maison de France a éprouvé bien des variations depuis l’établissement de la monarchie. On ne peut, à proprement parler, faire remonter l’établissement des apanages jusqu’à Philippe-le-Bel. Sous les deux premières races, les enfants des rois partageaient également les domaines et les prérogatives de la couronne. Au commencement de la troisième , l’inconvénient de ces partages détermina à abandonner aux puînés la propriété in-commutable d’une portion des domaines. Mais à mesure que les principes de la vraie politique se perfectionnèrent, on sentit l’iucon-vénient du démembrement d’une partie du domaine de la couronne. En conséquence, on stipula dans la concession des apanages la clause de réversion à défaut d’hoirs. Les apanages ne furent plus, pour me servir de l’expression du président Haynault, qu’une espèce de majorât ou de substitution. Ils furent restreints aux hoirs des apanages ; mais dans ces hoirs, les femmes, ainsi que les mâles, étaient comprises ; ce qui était dangereux et impolitique, parce que des portions d’apanages pouvaient passer à des étrangers par mariage, et c’est ce qui arriva par le mariage de Mahaut d’Artois, qui fit passer cette belle province dans la maison d’Autriche. Philippe le Bel prévint tous ces inconvénients (1) Le discours de M. Bengy de Puyvalée est incomplet au Moniteur.