288 {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. {23 janvier 1790.] dence criminelle qui porte que, dans les procès commencés, les procédures déjà faites subsisteront. Il trouve fort étrange que le district des Cordeliers s’érige en tribunal, lorsqu’il n’y est autorisé par aucun décret de l’Assemblée nationale. M. Goupil de Préfeln trouve des motifs d’ordre public dans l’exécutioa des décrets de prise de corps, rendus avant la nouvelle loi sur la procédure criminelle. M. de Cazalès dit que les lois anciennes gardent leur force, jusqu’à ce qu’elles soient abrogées et que les nouvelles ne peuvent, en aucun cas, avoir d’effet rétroactif. M. Mjts Chapelier rend justice au patriotisme des citoyens du district des Cordeliers et propose de charger M. le président de les informer qu’ils ont commis une erreur et que le décret de prise de corps doit suivre son effet. Cette motion est mise aux voix et adoptée en ces termes : cL’ Assemblée nationale a décrété, «que son président écrira au district des Cordeliers pour l’avertir qu’il se méprend sur les principes qui intéressent la société ; que les jugements rendus par les tribuuaux doivent être exécutés ; que personne ne peut y porter obstacle, et qu’ainsi la délibération que le district a prise, de mettre un visa sur les jugements portant prise de corps, qui doivent s’exécuter dans l’étendue de son territoire, a, contre son intention, l’effet de blesser l’ordre public, et de renverser les principes. L’Assemblée nationale attend du patriotisme du district des Cordeliers qu’il aidera l’exécution du jugement, loin d’v porter obstacle. » M. le Président lève la séance et l’indique à demain à l’heure ordinaire. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. TARGET. Séance du, samedi 23 janvier 1790, au matin (i) M. l’abbé d’Expilly , l'un de MM. les secrétaires , donne lecture du procès-verbal de la séance de la veille. M. Duport demande la parole et fait une motion pour que l’Assemblée s’occupe d’un règlement de discipline qui détermine les peines à infliger aux membres de l’Assemblée qui troubleraient l’ordre. Cette motion est accueillie et le décret suivant est rendu : « L’Assemblée nationale décrète qu’il sera nommé quatre commissaires pour rédiger un règlement à l’elfet de déterminer les censures et les peines qui pourraient être infligées aux membres de l’Assemblée qui se seraient oubliés au point de lui manquer de respect, pour ledit règlement rapporté à l’Assemblée, y être délibéré par elle. Le procès-verbal de la séance d’hier est ensuite adopté. jL M. le Président a rendu compte de la mission qui lui avait été donnée par l’Assemblée, de présenter au Roi quatre décrets de l’Assemblée nationale. Le premier est relatif à la Corse; le second porte un nouveau délai accordé jusqu’au 1er mars , pour la déclaration des mena ecclésiastiques; le troisième déclare que la contribution pour la garde soldée de Saint-Quentin sera comptée pour impôt direct; enfin le dernier regarde la jurisprudence criminelle. M. le président a de plus fait part à l’Assemblée qu’il avait pressé l’expédition de ces différents décrets. M. le Président a ensuite donné lecture à l’Assemblée d’une lettre de M. d’Albert de Rioms ainsi conçue : « M. le président , je reçois avec la reconnaissance la plus respectueuse les assurances que l’Assemblée nationale daigne me donner de son estime, je regarde comme une faveur, non moins précieuse pour moi, qu’elle veuille bien honorer du même sentiment M. le marquis du Gastellet , M. le comte de Bonneval, le commandant du Village, M. Gautier, M. Broves, M. de Saint-Julien et M. Broquier. « Nous respectons les motifs qui ont déterminé l’auguste Assemblée à ne point voir de coupables, quoiqu’il y eût un délit bien constaté, convaincus que la patrie ne peut être heureuse et libre que sous l’empire des lois ; le sentiment des injures que nous avons reçues, déjà si affaibli par les marques d’estime dont l’Assemblée nationale nous honore, sera entièrement effacé lorsque nous aurons le bonheur de voir la tranquillité universellement rétablie. Puissions-nous être Tes dernières victimes du désordre! puisse bientôt arriver le jour où le citoyen honnête, vivant heureux sous la sauvegarde des lois, le peuple saura que, pour être véritablement libre, il doit leur obéir, et où le trône reprenant sa dignité , le meilleur des rois exercera sans opposition cette autorité active, conservatrice de tous les droits que les décrets de l’Assemblée nationale, organe des Français, lui décernent pour la commune félicité ! « Ce sont là les vœux que le patriotisme le plus pur nous inspire-, mon intérêt personnel m’y en fait ajouter un : que la sagesse du gouvernement écarte de nous les horreurs de la guerre. « L’opinion exagérée que l’on s’est faite de mes services m’imposerait, je le sens trop, une tâche que je ne pourrais jamais remplir; mais si le fléau devient inévitable, puisse alors mou sang, versé jusqu’à la dernière goutte, payer le prix des bontés dont je suis comblé , et que le sacrifice de ma vie soit aussi utile à la patrie qu’il sera glorieux pour moi! « Je suis avec respect, M. le président, votre très humble, etc. Signé : Albert de Rioms. » Cette lettre est vivement applaudie. M. de Faucigay demande qu’elle soit insérée au procès-verbal, mais cette proposition n’a pas de suite. M. le Président fait connaître ensuite le résultat du scrutin, auquel on avait procédé la veille, pour les quatre remplacements à faire dans le comité de jurisprudence criminelle. MM. le président Le Pelletier de Saint-Fargeau, Duport ,Di-noeheau, duc de La Rochefoucauld ayant réuni la majorité, ont été déclarés membres de ce comité ; et MM. de Chabrol, Turpin, le président d’Ormes-son, Lanjuinais ayant eu le plus de suffrages après les quatre premiers, ont d’abord été déclarés suppléants ; mais il a été ensuite proposé et con-(1) Celte séance est incomplète au Moniteur. 289 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 janvier 1790.] senti que le premier suppléant, M. de Chabrol, fût joint à ce comité, qui, jusqu’alors , n’avait été composé que de huit membres , et qu’il était à propos de porter à neuf, à cause de l’avantage du nombre impair dans les délibérations. 11 est annoncé après, que M. Bordier, lieutenant-particulier-civil au bailliage de Nemours , et dont les pouvoirs ont été trouvés en règle par le comité de vérification , remplace M. Ber-thier, décédé le 10 de ce mois, et il ne s’élève à ce sujet aucune opposition. M. Bordier, en conséquence, est admis. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion sur la division des départements du royaume. M. Gossin, rapporteur du comité de Constitution, lit un projet de décret au sujet de la division du département de Toulouse en huit districts, savoir : Toulouse, Muret , Rieux, Saint-Gaudens, Villefranche, Revel, Castel-Sarrazin et Grenade. M. Père* deLagesse s’oppose au projet du comité et demande, d’après la situation et la population de Verdun, un district, préférablement à Beaumont et à Grenade. M. Long défend l’avis du comité et prouve que Beaumont est devenu le chef-lieu de la justice du pays; que cette ville est plus près du centre du district et qu’elle a plus de communication avec les lieux voisins que Verdun, dont elle surpasse la contribution et la population. M. Père* (de Mirande) demande la parole en faveur de Beaumont, mais l’Assemblée ferme la discussion et va aux voix. Le décret suivant est rendu : L’Assemblée nationale décrète, d’après l’avis du comité de Constitution , que le département de Toulouse est divisé en huit districts; savoir : « Toulouse, Rieux, Ville-Franche, Gastel-Sar-razin, Muret, Saint-Gaudens, Revel et Grenade, sauf à mettre le tribunal du district à Beaumont-lès-Lomagne ». Il a été question après du département de Tulle, et le projet du comité à ce sujet n’a point essuyé de contradiction. L’Assemblée nationale décrète, d’après l’avis du comité de Constitution , que Tulle est le chef-lieu du département du Bas-Limousin , et que ce département est divisé en quatre districts, Tulle, Brive, Uzerche et Ussel. » La division du département de Rennes en districts donne lieu à des débats assez longs. MM. Lanjuinais, Pellerin , Perret de Trégadoret et deux députés du clergé sont entendus. M. Le Chapelier. L’avis de la majorité des députés de Bretagne est d’attacher Redon à Rennes, la Roche-Bernard à Vannes , et Ghâteaubriand à Nantes. La seule opposition est prise de l’interruption du chemin de la Roche-Bernard par un bras de rivière; mais comme la poste y passe, et que les relations du commerce n’en sont pas moins constantes , je demande la priorité pour l’avis de la députation de Bretagne. On va aux voix; l’avis de la députation de Bretagne obtient la priorité, et il est adopté ainsi : L’Assemblée nationale décrète que la Roche-Bernard et les paroisses en dépendant seront du lre Série. T. XI. département de Vannes; que Redon sera dans celui de Rennes, et Chateaubriand dans celui de Nantes. M. Anson fait, au nom du comité des finances , un rapport dans lequel il annonce que le receveur de l’ancien ordre du clergé expose qu’il éprouve des difficultés pour le paiement des six derniers mois des décimes ; pour obvier à ces difficultés, le comité propose un projet de décret M. l’abbé Cousin. Je demande que, dans les provinces, comme en Provence, où les vingtièmes sont confondus avec les autres impositions territoriales, il soit expressément décrété que, dans la répartition des charges sur les biens ecclésiastiques, pour les six derniers mois de l’année 1789, il soit fait distraction du montant des vingtièmes, afin que les ecclésiastiques ne soient pas imposés deux fois pour le même objet. M. Thibault, curé de Souppes. La répartition des décimes se faisait dans la chambre syndicale ecclésiastique, qu’on peut bien appeler chambre secrète , chambre obscure , chambre noire ; les évêques et les chapitres étaient imposés en masse; on refusait constamment aux curés le tableau de l’imposition; les membres qui composaient cette chambre étaient toujours choisis par l’évêque, sans que jamais les contribuables aient eu part à leur élection; je propose en conséquence que, sur les quittances des décimes des bénéficiers pour l’année entière 1789, il leur sera tenu compte de l’excédant de leur paiement, sur la répartition des impôts de 1790. M Mougins de Roquefort. Je demande que les délibérations prises par le ci-devant clergé de France, portant suspension de paiements vis-à-vis de ses créanciers, demeurent révoquées , et qu’il soit tenu d’en acquitter les rentes jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné. M. l’abbè de llontesquiou. L’intérêt des rentiers du feu clergé doit les faire distinguer des créanciers de l’Etat; ils n’ont pas fait travailler leur argent, ils n’ont pas profité des malheurs de l’Etat , et leur intérêt serait compromis si le décret proposé n’est pas adopté. Le clergé faisait quelques actes de bienfaisance. Les pensions alimentaires de 501ivres se portaient à 60,000 livres.; elles sont suspendues. 11 y a encore 40,000 liv. destinées à l’entretien de ce qui reste des jésuites ; en 1785, ils firent entendre leurs réclamations, et le clergé accorda 800 liv. à chacun ; cet objet est suspendu ; si vous ne décrétez pas le paiement des décimes nécessaires, comment pourvoir aux actes de bienfaisance1? Chez les anciens, les paroles des agonisants avaient quelque chose de sacré. Sans doute il y avait parmi nous des abus; nous sommes des hommes; mais si l’on examine la facilité que nous avions de réclamer l’exécution des principes, on verra que nous avons payé notre tribut. Nous ne faisions porter l’imposition que sur l’excédant de celui qui travaillait le moins. Nous avions divisé les ecclésiastiques en huit classes. On imposait au quart les abbés, les prieurs et les bénéficiers simples. L’inégalité est venue de la culture des fonds augmentés dans certaines provinces. Dans la seconde classe étaient les évêchés, les cathédrales et les cures riches. Nous arrivions 19