SÉANCE DU 17 FLORÉAL AN II (6 MAI 1794) - N° 48 107 L’accusateur public soussigné, citoyens juges, vous représente qu’il y aurait des difficultés dans l’instruction des procédures des accusés contu-max; et surtout dans l’instruction de celles dont l’objet est contre-révolutionnaire, ou compris dans les loix des 7 et 30 frimaire dernier. La première difficulté qui s’offre en général vient de ce que la loi veut que les proclamations de l’ordonnance de prise de corps et de la perquisition de la personne du prévenu se fassent pendant deux dimanches consécutifs, et que les ordonnances de cette proclamation soient affichées à la porte de l’église du lieu du domicile de l’accusé. La plupart des églises ont aujourd’hui une autre destination que celles qu’elles avaient hier et les français ne connaissent plus le jour appelé dimanche; il faut donc que la loi désigne d’une autre manière les époques où elle veut que se fassent les proclamations susdites et le lieu où elles doivent être affichées. La seconde difficulté qui n’est que relative aux délits contre-révolutionnaires et à ceux repris dans les loix des 7 et 30 frimaire dernier, vient de ce que, dans l’instruction des procédures de ces délits, il n’y a point d’ordonnance de prise de corps, et qu’on les soumet au jugement du tribunal d’après l’acte d’accusation dressé par l’accusateur public; il arrive même que pour les délits repris dans les loix du 19 mars et 9 avril dernier, l’accusateur public présente oralement au tribunal l’objet du délit qui donne lieu à l’examen et au débat; et dans l’un comme dans l’autre cas il n’y a ni ordonnance de prise de corps, ni personne désigné par la loi pour la porter; par conséquent les proclamations exigées par la loi ne peuvent se faire parce que leur objet n’existe point. Il serait peut-être convenable, citoyens juges, de mettre ces réflexions sous les yeux de la Convention nationale, et de la solliciter de porter une nouvelle loi sur l’instruction des procédures des prévenus ou des accusés contumax; peut-être même serait-il convenable de lui exposer qu’il y a bien peu de raisons de juger les contumax dans la forme décrétée par la loi du 16 septembre 1791, et qu’il-en résulte des inconvénients et des frais aussi énormes qu’inutiles pour la République dans un procès où il y a plusieurs contumax, il faut d’abord un jugement qu’on rend en leur absence. Si ensuite ils sont arrêtés à diverses époques, le premier jugement est regardé comme nul et tout se recommence comme si rien n’était fait. A quoi alors a servi la première instruction ? A instruire l’accusé contumax qui envoie à l’audience des personnes affidées des dépositions des témoins, et à les mettre à même ou de les corrompre ou de les intimider, ou à se ménager des preuves contraires par des témoins qu’il gagne, ou enfin à venir à bout d’apitoyer sur son sort des jurés qu’on sollicite et dont on sollicite et entraîne l’opinion; il y a même un manège plus adroit qu’on exploite efficacement. Le témoin défaillant n’est condamné qu’à une amende de 30 livres; en payant cette amende pour lui on l’engage à faire défaut, et alors son témoignage ne peut avoir lieu parce qu’on ne peut pas lire sa déposition écrite ! La République épargnerait beaucoup de frais, les accusés contumax auraient moins de ressources, moins de moyens de corruption s’il était décrété que tout citoyen qui n’obéirait pas au mandat d’amener ou qui se soustrairait au mandat d’arrêt serait, après trois publications et affictions de l’un ou l’autre de ces mandats à tel lieu qu’il serait indiqué par la loi, privé de tous ses biens, dont les revenus seraient acquis à la République pendant tout le temps de son absence, et entièrement confisqués au même profit; dans le cas où l’absence durerait plus que la loi désignerait, cette mesure forcerait les contumax à se représenter et elle n’empêcherait point les recherches et les perquisitions qu’on en pourrait faire, ainsi que de ceux qui n’ont point de biens, afin de leur infliger la peine due à leur délit. S’ils étaient reconnus coupables on pourrait même décréter que les juges des tribunaux criminels, sans le concours du jury, condamneraient les contumax à la peine due aux délits dont ils seraient prévenus, soit par l’acte d’accusation, soit par le mandat d’arrêt qui devrait faire mention du délit imputé à l’accusé, et, de toutes les circonstances qui l’aggravent, cette condamnation serait l’effet de la seule prévention du délit, et une nouvelle peine due à la fuite de l’accusé contumax; elle ne cesserait avec la condamnation, qui serait regardée comme nulle et non avenue qu’au moment où les prévenus ou accusés contumax se représenteraient. Ces idées, Citoyens juges, mûries par le Comité de Législation et par la Convention nationale, peuvent donner lieu à des développements plus satisfaisants, et la nécesité de consulter la Convention nationale sur la marche à tenir actuellement pour l’instruction des procédures par contumax en raison du changement de l’ère des français, et de ce que, par l’effet de certaines loix il y a des instructions où il n’y a point d’ordonnance de prise de corps ni personne désignée par la loi pour la porter, me détermine à vous demander d’être autorisé à en déférer à la Convention nationale afin de ne point rester involontairement dans l’inaction à l’égard des procédures dont je parle et dont le nombre pouvait se grossir considérablement. L’accusateur public : Ranson. Renvoyé au Comité de législation (1) . b [s.l.n.d.] (2). Au nom du peuple français, le tribunal criminel du département du Nord a rendu le jugement suivant : Vu par le tribunal criminel du département du Nord le réquisitoire de l’accusateur public près ledit tribunal, dont la teneur suit. L’accusateur public soussigné, Citoyens juges, vous représente que d’après l’article premier du décret du 27 germinal concernant la police générale de la République il est décidé que les prévenus de conspiration seront traduits, de tous les points de la République, au tribunal révolutionnaire, à Paris; cette disposition com-prend-t-elle les délits d’émigration, ceux compris dans les loix des 19 mars, 7 et 9 avril, et ceux qui ne sont que relatifs à des propos inciviques qui ne donnent lieu qu’à la peine de dé-(1) Mention marginale datée du 17 flor. et signée Paganel. (2) Dm, 183, doss. 2, p. 284. SÉANCE DU 17 FLORÉAL AN II (6 MAI 1794) - N° 48 107 L’accusateur public soussigné, citoyens juges, vous représente qu’il y aurait des difficultés dans l’instruction des procédures des accusés contu-max; et surtout dans l’instruction de celles dont l’objet est contre-révolutionnaire, ou compris dans les loix des 7 et 30 frimaire dernier. La première difficulté qui s’offre en général vient de ce que la loi veut que les proclamations de l’ordonnance de prise de corps et de la perquisition de la personne du prévenu se fassent pendant deux dimanches consécutifs, et que les ordonnances de cette proclamation soient affichées à la porte de l’église du lieu du domicile de l’accusé. La plupart des églises ont aujourd’hui une autre destination que celles qu’elles avaient hier et les français ne connaissent plus le jour appelé dimanche; il faut donc que la loi désigne d’une autre manière les époques où elle veut que se fassent les proclamations susdites et le lieu où elles doivent être affichées. La seconde difficulté qui n’est que relative aux délits contre-révolutionnaires et à ceux repris dans les loix des 7 et 30 frimaire dernier, vient de ce que, dans l’instruction des procédures de ces délits, il n’y a point d’ordonnance de prise de corps, et qu’on les soumet au jugement du tribunal d’après l’acte d’accusation dressé par l’accusateur public; il arrive même que pour les délits repris dans les loix du 19 mars et 9 avril dernier, l’accusateur public présente oralement au tribunal l’objet du délit qui donne lieu à l’examen et au débat; et dans l’un comme dans l’autre cas il n’y a ni ordonnance de prise de corps, ni personne désigné par la loi pour la porter; par conséquent les proclamations exigées par la loi ne peuvent se faire parce que leur objet n’existe point. Il serait peut-être convenable, citoyens juges, de mettre ces réflexions sous les yeux de la Convention nationale, et de la solliciter de porter une nouvelle loi sur l’instruction des procédures des prévenus ou des accusés contumax; peut-être même serait-il convenable de lui exposer qu’il y a bien peu de raisons de juger les contumax dans la forme décrétée par la loi du 16 septembre 1791, et qu’il-en résulte des inconvénients et des frais aussi énormes qu’inutiles pour la République dans un procès où il y a plusieurs contumax, il faut d’abord un jugement qu’on rend en leur absence. Si ensuite ils sont arrêtés à diverses époques, le premier jugement est regardé comme nul et tout se recommence comme si rien n’était fait. A quoi alors a servi la première instruction ? A instruire l’accusé contumax qui envoie à l’audience des personnes affidées des dépositions des témoins, et à les mettre à même ou de les corrompre ou de les intimider, ou à se ménager des preuves contraires par des témoins qu’il gagne, ou enfin à venir à bout d’apitoyer sur son sort des jurés qu’on sollicite et dont on sollicite et entraîne l’opinion; il y a même un manège plus adroit qu’on exploite efficacement. Le témoin défaillant n’est condamné qu’à une amende de 30 livres; en payant cette amende pour lui on l’engage à faire défaut, et alors son témoignage ne peut avoir lieu parce qu’on ne peut pas lire sa déposition écrite ! La République épargnerait beaucoup de frais, les accusés contumax auraient moins de ressources, moins de moyens de corruption s’il était décrété que tout citoyen qui n’obéirait pas au mandat d’amener ou qui se soustrairait au mandat d’arrêt serait, après trois publications et affictions de l’un ou l’autre de ces mandats à tel lieu qu’il serait indiqué par la loi, privé de tous ses biens, dont les revenus seraient acquis à la République pendant tout le temps de son absence, et entièrement confisqués au même profit; dans le cas où l’absence durerait plus que la loi désignerait, cette mesure forcerait les contumax à se représenter et elle n’empêcherait point les recherches et les perquisitions qu’on en pourrait faire, ainsi que de ceux qui n’ont point de biens, afin de leur infliger la peine due à leur délit. S’ils étaient reconnus coupables on pourrait même décréter que les juges des tribunaux criminels, sans le concours du jury, condamneraient les contumax à la peine due aux délits dont ils seraient prévenus, soit par l’acte d’accusation, soit par le mandat d’arrêt qui devrait faire mention du délit imputé à l’accusé, et, de toutes les circonstances qui l’aggravent, cette condamnation serait l’effet de la seule prévention du délit, et une nouvelle peine due à la fuite de l’accusé contumax; elle ne cesserait avec la condamnation, qui serait regardée comme nulle et non avenue qu’au moment où les prévenus ou accusés contumax se représenteraient. Ces idées, Citoyens juges, mûries par le Comité de Législation et par la Convention nationale, peuvent donner lieu à des développements plus satisfaisants, et la nécesité de consulter la Convention nationale sur la marche à tenir actuellement pour l’instruction des procédures par contumax en raison du changement de l’ère des français, et de ce que, par l’effet de certaines loix il y a des instructions où il n’y a point d’ordonnance de prise de corps ni personne désignée par la loi pour la porter, me détermine à vous demander d’être autorisé à en déférer à la Convention nationale afin de ne point rester involontairement dans l’inaction à l’égard des procédures dont je parle et dont le nombre pouvait se grossir considérablement. L’accusateur public : Ranson. Renvoyé au Comité de législation (1) . b [s.l.n.d.] (2). Au nom du peuple français, le tribunal criminel du département du Nord a rendu le jugement suivant : Vu par le tribunal criminel du département du Nord le réquisitoire de l’accusateur public près ledit tribunal, dont la teneur suit. L’accusateur public soussigné, Citoyens juges, vous représente que d’après l’article premier du décret du 27 germinal concernant la police générale de la République il est décidé que les prévenus de conspiration seront traduits, de tous les points de la République, au tribunal révolutionnaire, à Paris; cette disposition com-prend-t-elle les délits d’émigration, ceux compris dans les loix des 19 mars, 7 et 9 avril, et ceux qui ne sont que relatifs à des propos inciviques qui ne donnent lieu qu’à la peine de dé-(1) Mention marginale datée du 17 flor. et signée Paganel. (2) Dm, 183, doss. 2, p. 284. 108 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE portation, lorsqu’ils ont été un sujet de trouble et d’agitation ? Je me retire devant vous, Citoyens juges, et je requiers au nom de la loy et de la République, que vous m’autorisiez à en référer à la Convention nationale, soit directement, soit par l’intermédiaire du commissaire des administrations civiles, police et tribunaux, de quoy je demande acte. Ranson. Renvoyé au Comité de législation (1). 49 [Le Cn Cambard aîné , à la Conv.; s.d.] (2). « Législateurs, C’est devant votre tribunal que j’ai à défendre contre les injustes réclamations d’un père qui craint de voir passer sur ma tête, un patrimoine que son caractère dissipateur éloigna de la sienne, un patrimoine qui m’est acquis par une loi sacrée, par une loi dont vous avez assuré l’inviolabilité, en un mot par une disposition de dernière volonté, dont l’époque se réfère, ainsi que celle de la mort du testateur à plus de 24 ans. Vous avez décrété l’égalité des successions en ligne directe, mais le principe que l’humanité, que la nature réclamait depuis des siècles, ne saurait acquérir un effet rétroactif, qui remontât à cette époque; vous l’avez fixé au 14e juillet 1789. Et mes persécuteurs ne sauraient l’attendre de votre justice. Fait : Raymond Cambard, mon aïeul, après avoir donné à mon père, lors de son contrat de mariage du 9 may 1762 la moitié de ses biens, que celui-ci laissa bientôt absorber par ses concu-cubines, craignant qu’en lui laissant le reste de ses biens, il ne lui arrive la même chose, fit son testament en 1767, dans lequel il institua pour son héritier universel l’aîné de ses petits enfants qui existerait à la mort de Jean François Cambard, mon père. Mon aïeul mourut bientôt après. C’est par conséquent sur ma tête que l’institution frappe, quoique je ne puisse obtenir la possession de l’hérédité qu’à la mort de mon père, possession qui appartient aujourd’hui à mon aïeule par une disposition expresse du même testament et qui doit passer à mon père par la disposition tacite que présente mon institution. Mes persécuteurs voudraient faire envisager cette institution comme une véritable substitution, et la soumettre au dispositif de la loi du 23 octobre et 14 novembre 1792. La substitution n’est véritablement en elle-même qu’une institution, mais elle diffère de l’institution pure et simple qui ne présente qu’un héritier, lorsque la substitution en annonce plusieurs successivement appelés. Les lois du 23 octobre et 14 novembre n’ont point prohibé l’institution pure et simple, mais elles ont détruit, elles ont aboli, cette ridicule progression dans l’ordre de succé-(1) Mention marginale datée du 17 flor. et signée Paganel. En marge : Terminé par la loi du 19 flor. (2) Dm 336 (17 flor. II). der que le testateur pouvait imposer dans sa disposition. Elles ont trouvé absurde qu’un homme après avoir décidément nommé un héritier, pût le dépouiller même après sa mort, et qu’à-près avoir transféré sur sa tête toutes ses propriétés, après l’avoir nommé pour lui succéder dans tout ce qu’il avait de droits, in universum jus, et causant; il lui interdisît l’exercice de ces mêmes droits, celui auquel il tenait lui-même le plus, celui de disposer des biens ainsi transmis, ou de choisir un héritier; elles ont trouvé bizarre qu’un testateur portât ses vues quelquefois au-delà de cent ans après sa mort, et qu’il appelât un héritier qui pouvait ne jamais exister. Ainsi la loi qui a aboli ce genre d’institution est marquée au coin de l’équité et de la justice, et par conséquence nécessaire, elle a dû maintenir les possesseurs, qui lors de sa publication jouissaient en vertu d’une disposition testamentaire, dans toute l’étendue des droits auxquels ils ont succédé, et les garantir contre les réclamations de cette espèce d’héritiers par substitution, qu’elle a déclaré n’avoir plus à reconnaître. Mais que notre espèce est différente ! Dans le testament de Raymond Cambard, mon aïeul, c’est une institution faite, non en faveur d’une personne incertaine, mais d’une personne existante lors de sa disposition (j’étais né le 20 may 1763 ) et qui selon l’ordre de la nature devait aussi exister à l’époque à laquelle la succession devait être recueillie, je veux dire à la mort de Jean François Cambard, mon père. Si Raymond Cambard, mon aïeul, eut institué son épouse à laquelle il légua l’entière jouissance, ou Cambard, mon père, et qu’en instituant l’un ou l’autre, j’eusse été nommé en second d’ordre, ou qu’ils eussent été chargés de me rendre l’entière hérédité, alors sans contredit la loi citée eut pu être par eux invoquée avec fondement, alors je n’aurais pu réclamer l’effet de la substitution parce que l’art. 2 de cette loi me l’eut interdit; mais je ne suis point un héritier substitué, ou fidei commissaire, je suis appelé au premier degré, je suis le seul véritable héritier de mon aïeul, je suis par sa disposition institué purement et simplement, et cette institution pouvait être faite dans un temps où la loi l’autorisait parfaitement; n’importe que mon père et mon aïeul aient la jouissance de l’hérédité, n’importe que je ne puisse posséder qu’à leur mort, l’institution n’est pas moins pure et simple, elle n’est pas moins en ma faveur; et renverser cette institution, ce serait renverser le testament en entier, puisque c’est elle qui en forme l’essence, c’est elle qui en est la base et le fondement, c’est d’elle que toutes les dispositions prennent leur force. Il est donc vray qu’en détruisant cette institution vous annuleriez une disposition faite depuis plus de 25 ans, une disposition faite dans toutes les formes et toutes les règles alors reçues et prescrites; vous iriez arracher à son exécution une volonté qui ne peut plus être changée, et que la loi a toujours protégée, comme l’un des droits les plus sacrés de l’homme. Vous êtes trop justes, Citoyens Législateurs, pour attaquer le grand principe auquel le bien de la société, le soutien de la République, tiennent essentiellement, qu’aucune loi ne doit avoir d’effet rétroactif; et vous avez trop à cœur le bonheur, et nous n’avons point à craindre 108 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE portation, lorsqu’ils ont été un sujet de trouble et d’agitation ? Je me retire devant vous, Citoyens juges, et je requiers au nom de la loy et de la République, que vous m’autorisiez à en référer à la Convention nationale, soit directement, soit par l’intermédiaire du commissaire des administrations civiles, police et tribunaux, de quoy je demande acte. Ranson. Renvoyé au Comité de législation (1). 49 [Le Cn Cambard aîné , à la Conv.; s.d.] (2). « Législateurs, C’est devant votre tribunal que j’ai à défendre contre les injustes réclamations d’un père qui craint de voir passer sur ma tête, un patrimoine que son caractère dissipateur éloigna de la sienne, un patrimoine qui m’est acquis par une loi sacrée, par une loi dont vous avez assuré l’inviolabilité, en un mot par une disposition de dernière volonté, dont l’époque se réfère, ainsi que celle de la mort du testateur à plus de 24 ans. Vous avez décrété l’égalité des successions en ligne directe, mais le principe que l’humanité, que la nature réclamait depuis des siècles, ne saurait acquérir un effet rétroactif, qui remontât à cette époque; vous l’avez fixé au 14e juillet 1789. Et mes persécuteurs ne sauraient l’attendre de votre justice. Fait : Raymond Cambard, mon aïeul, après avoir donné à mon père, lors de son contrat de mariage du 9 may 1762 la moitié de ses biens, que celui-ci laissa bientôt absorber par ses concu-cubines, craignant qu’en lui laissant le reste de ses biens, il ne lui arrive la même chose, fit son testament en 1767, dans lequel il institua pour son héritier universel l’aîné de ses petits enfants qui existerait à la mort de Jean François Cambard, mon père. Mon aïeul mourut bientôt après. C’est par conséquent sur ma tête que l’institution frappe, quoique je ne puisse obtenir la possession de l’hérédité qu’à la mort de mon père, possession qui appartient aujourd’hui à mon aïeule par une disposition expresse du même testament et qui doit passer à mon père par la disposition tacite que présente mon institution. Mes persécuteurs voudraient faire envisager cette institution comme une véritable substitution, et la soumettre au dispositif de la loi du 23 octobre et 14 novembre 1792. La substitution n’est véritablement en elle-même qu’une institution, mais elle diffère de l’institution pure et simple qui ne présente qu’un héritier, lorsque la substitution en annonce plusieurs successivement appelés. Les lois du 23 octobre et 14 novembre n’ont point prohibé l’institution pure et simple, mais elles ont détruit, elles ont aboli, cette ridicule progression dans l’ordre de succé-(1) Mention marginale datée du 17 flor. et signée Paganel. En marge : Terminé par la loi du 19 flor. (2) Dm 336 (17 flor. II). der que le testateur pouvait imposer dans sa disposition. Elles ont trouvé absurde qu’un homme après avoir décidément nommé un héritier, pût le dépouiller même après sa mort, et qu’à-près avoir transféré sur sa tête toutes ses propriétés, après l’avoir nommé pour lui succéder dans tout ce qu’il avait de droits, in universum jus, et causant; il lui interdisît l’exercice de ces mêmes droits, celui auquel il tenait lui-même le plus, celui de disposer des biens ainsi transmis, ou de choisir un héritier; elles ont trouvé bizarre qu’un testateur portât ses vues quelquefois au-delà de cent ans après sa mort, et qu’il appelât un héritier qui pouvait ne jamais exister. Ainsi la loi qui a aboli ce genre d’institution est marquée au coin de l’équité et de la justice, et par conséquence nécessaire, elle a dû maintenir les possesseurs, qui lors de sa publication jouissaient en vertu d’une disposition testamentaire, dans toute l’étendue des droits auxquels ils ont succédé, et les garantir contre les réclamations de cette espèce d’héritiers par substitution, qu’elle a déclaré n’avoir plus à reconnaître. Mais que notre espèce est différente ! Dans le testament de Raymond Cambard, mon aïeul, c’est une institution faite, non en faveur d’une personne incertaine, mais d’une personne existante lors de sa disposition (j’étais né le 20 may 1763 ) et qui selon l’ordre de la nature devait aussi exister à l’époque à laquelle la succession devait être recueillie, je veux dire à la mort de Jean François Cambard, mon père. Si Raymond Cambard, mon aïeul, eut institué son épouse à laquelle il légua l’entière jouissance, ou Cambard, mon père, et qu’en instituant l’un ou l’autre, j’eusse été nommé en second d’ordre, ou qu’ils eussent été chargés de me rendre l’entière hérédité, alors sans contredit la loi citée eut pu être par eux invoquée avec fondement, alors je n’aurais pu réclamer l’effet de la substitution parce que l’art. 2 de cette loi me l’eut interdit; mais je ne suis point un héritier substitué, ou fidei commissaire, je suis appelé au premier degré, je suis le seul véritable héritier de mon aïeul, je suis par sa disposition institué purement et simplement, et cette institution pouvait être faite dans un temps où la loi l’autorisait parfaitement; n’importe que mon père et mon aïeul aient la jouissance de l’hérédité, n’importe que je ne puisse posséder qu’à leur mort, l’institution n’est pas moins pure et simple, elle n’est pas moins en ma faveur; et renverser cette institution, ce serait renverser le testament en entier, puisque c’est elle qui en forme l’essence, c’est elle qui en est la base et le fondement, c’est d’elle que toutes les dispositions prennent leur force. Il est donc vray qu’en détruisant cette institution vous annuleriez une disposition faite depuis plus de 25 ans, une disposition faite dans toutes les formes et toutes les règles alors reçues et prescrites; vous iriez arracher à son exécution une volonté qui ne peut plus être changée, et que la loi a toujours protégée, comme l’un des droits les plus sacrés de l’homme. Vous êtes trop justes, Citoyens Législateurs, pour attaquer le grand principe auquel le bien de la société, le soutien de la République, tiennent essentiellement, qu’aucune loi ne doit avoir d’effet rétroactif; et vous avez trop à cœur le bonheur, et nous n’avons point à craindre