ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 548 [Assemblée nationale.] [17 mai 1790.] été exoosées. Tout le monde convient que l’Assemblée nationale doit surveiller toutes les parties de l’administration intérieure. N’est-ce pas à elle u’il appartient aussi, lorsqu’il s’agit d’une guerre, e prendre toutes les précautions nécessaires pour assurer la Constitution?.... On a dit que l’or des nations étrangères viendrait corrompre le Corps législatif; mais n’aurait-il pas moins d’effet dans uneassemblée de représentants élus par le peuple, que dans le couseil des rois; dans la publicité des discussions de l’Assemblée nationale, que dans le mystère des opérations ministérielles?... Je pense donc que le droit de paix et de guerre ne peut appartenir au roi. Je me borne à adopter le projet de décret proposé par M. Pétion de Ville-neuve, pour lequel je demande d’avance la priorité. M. Goupil de Préfeln. En remontant aux sources du droit public, nous verrons que la nation française a presque toujours joui du droit de faire la guerre. Ce n’est que depuis que le régime féodal a fait disparaître l’existence des droits du peuple, que la nation n’a plus consisté que dans un roi, et cependant on n’entreprenait alors des guerres que du consentement des barons. Il faut cependant l’avouer, depuis la majoritédeLouisXlII la nation n’a plus été consultée, etvous sentez bien quels en ont été les résultats. On vous a présenté des raisonnements plus ou moins spécieux ; on vous a dit que ce droit était important pour la dignité royale, comme s’il n’y avait pas de dignité royale sous Charlemagne et sous Louis IX. En quoi consiste la dignité du trône? Dans le droit efficace de faire le bien, et non dans le pouvoir de faire le mal. Le monarque vous dirait : On a déclaré la guerre, c’est le fruit d’une intrigue; qu’importe? il faut verser le sang des peuples et les écraser d’impôts. Mais vous aurez le droit de leur refuser des subsides. Est-ce bien à nous qu’on tient ce langage; à nous, dont l’amour pour notre roi est la qualité disiinctive? Nous abandonnerions ainsi notre monarque : les sentiments que nous vouons à nos rois ne sont pas les mêmes que ceux des Anglais. On nous cite toujours l’Angleterre pour modèle; elle ne craint pas, comme nous, qu’on puisse mettre assez de troupes entre les mains du roi, pour lui fournir les moyens d’attaquer la liberté du peuple. Le règne des charlatans est passé : il est temps que la raison éclaire nos intérêts. Mais on allègue le danger de la corruption; et pour l’écarter, on nous engage à déposer le droit de faire la guerre dans le sanctuaire incorruptible des ministres.... Voici le projet de décret que j’ai l’bonneur de vous présenter : « L’Assemblée nationale, après avoir recouvré la liberté par l’assistance divine, et ne devant en faire usage que con-formémentaux règles de justice établies par Dieu, déclare que toute nation fidèle à respecter ses engagements sera toujours l’objet de son affection, mais qu’elle emploiera toute la force et l’énergie d’une nation libre pour repousser l’injustice; déclare en outre que le roi pourra préparer les forces que la Constitution met à sa disposition pour la sûreté de l’empire ; qn’aussitôt qu’il sera contraint de les mettre en usage, il en informera l’Assemblée nationale; décrète de plus que le roi pourra proposer et accepter des traités, mais qu’ils ne deviendront obligatoires que par la ratification du Çorps législatif. » M. deGrosbols, député de Besançon, demande un congé pour affaires urgentes. M. Deaupoil de Saint-Hilaire, évêque de Poitiers, sollicite l’agrément de l’Assemblée, pour s’absenter à cause du mauvais état de sa santé. M. de Luze-l’Etang, député de Bordeaux, demande également un congé pour ses affaires. Les congés sont accordés. M. le Président. Le comité des rapports demande à interrompre la discussion pour rendre compte des troubles qui viennent de se produire d Montauban. Ces troubles paraissent au comité de nature à nécessiter immédiatement un décret provisoire. M. Vieillard, organe du comité des rapports. Messieurs, dans le cours de la séance on a convoqué votre comité des rapports. Des événements très malheureux rendent en ce moment nécessaire un décret provisoire. Il s’agit de la ville de Montauban. Vous vous rappelez sans doute les dissensions qui s’y étaient élevées : les troubles ont continué malgré le décret que vous avez rendu. Ces troubles sont fomentés par le fanatisme religieux : un mandement de M. l’évêque de Montauban et des prières publiques ordonnées ont fait fermenter tous les têtes : on a tenu des assemblées dans lesquelles on s’est occupé des moyens d’arrêter l’exécution de vos décrets ; il y a un schisme dans la garde nationale ; on a voulu l’augmenter d’un quatrième bataillon, qui s’est trouvé composé de personnes attachées à l’ordre judiciaire et degens flétris, soudoyés parelles. Le courrier extraordinaire, sur l’arrivée duquel nous nous sommes assemblés, n’a apporté qu’une lettre particulière deM. Peyroret datée des 10 et 11 mai. Voici son contenu : Du 10 mai. « Depuis six heures du matin la porte du couvent des moines Cordeliers était assaillie par quatre ou cinq cents femmes. « A sept heures et demie je fus à la place des Cordeliers. Elle était presque remplie de femmes qui se promenaient avec une épée à leur côté, d’autres avec des pistolets à la ceinture, en disant qu’elles ne voulaient pas laisser entrer les ofticiprs municipaux pour faire l’inventaire des litres des moines. « A huit heures arrivent les dames deCaumont-Laforce qui firent dire une messe, où ces haren-gères assistèrent. A neuf heures se présentent deux officiers mu-nipaux sans être escortés. Ces femmes les prennent par le bras et leur disent que s’ils ne se retirent pas elles vont les tuer. Ils répondirent qu’ils allaient en dresser procès-verbal. « A une heure de l’après-midi toutes les femmes se réunirent et allèrent chez M. Dupuis-Mont-brun et chez M. de Preissac en disant qu’elles ne les voulaient plus pour colonel et commandant de la garde nationale et qu’elles voulaient les pendre. Quelques hommes sejoignirent à ces femmes. « A deux heures arrive la maréchaussée avec une troupe de dragons de la garde nationale et deux officiers municipaux qui conduisirent M. Dupuis-Montbrun à l’Hôtel-de-Ville pour qu’il fût plus en sûreté. « A peine sont-ils entrés, que le peuple arrive de toutes parts en disant qu’ils voulaient immoler les dragons et enfoncer les portes ; que c’étaient des protestants ; et les nouvelles compagnies criaient comme des furieux qu’ils vou- 549 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 mai 1790.) laient des fusils pour égorger tous les protestants. « A deux heures et demie un officier munici-al se détache et écrit au major du régiment du anguedoc pour demander du secours. « Dans cet intervalle un coup de fusil fut tiré par un dragon et blesse un homme. Le peuple armé tire sur les dragons qui étaient dans lacour de l’Hôtel-de-Ville ; ce qu’il y a de certain, c’est qu’il y a eu quatre hommes de tués, qui sont MM. Mariette de la fabrique de bas, Ruffio, Crampes du ChemiD et Gartisson de Ville-Bourbon. D’autres sont blessés. Aucun catholique n’a été tué excepté Crampes du Chemin. « A trois heures l’église des Cordeliers est remplie de monde. Un homme monte en chaire et dit qu’il faut aller à l’Hôtel-de-Ville exterminer les dragons. En même temps il arrache sa cocarde nationale et la déchire. « Un instant après le duc de Laforce entre dans l’église le sabre à la main en disant: «Comment, Messieurs, pouvez-vous rester ici dans l’inaction, dans le temps qu’on égorge nos frères à l’Hôtel-de-Ville ? Allons, suivez-moi. Allons les venger. » « A quatre heures et demie le régiment du Languedoc arrive à l’Hôtel-de-Ville et le carnage cesse. On déshabille les dragons et la compagnie des grenadiers les conduit liés, garottés et en chemise, dans les prisons du château royal. « Dans ce moment la foule entre dans l’Hôtel-de-Ville, les nouvelles compagnies s’emparent de toutes les armes, et disent à haute voix qu’elles ne veulent plus M. de Preissac pour colonel, ni de M. Dupuis-Mootbrun pour commandaut; elles en nomment d’autres. » A présent les aristocrates sont au comble de leurs désirs ; par gradation ils sont venus à leur but. Je passe sous silence les mauvais traitements qu’on fait essuyer aux protestants quand on les trouve dans les rues: on leur donne des coups de bâtons, des soufflets, des coups de pied. Les âmes honnêtes sont dans la plus grande consternation. Nous allons prendre des arrangements avec toutes les villes des environs, pour empêcher que ceci ne devienne plus affreux. Je ne finirais pas si je voulais vous peindre les atrocités quel on commet, dans ce moment à J’égard des non-catholiques. » Lettre de M. Peyroret du 11 mai. « Je suis parti de Monlauban à midi : avant mou départ, il est mort un cinquième dragon, au château royal, des suites de ses blessures. Voilà cinq martyrs de la liberté que le fanatisme à immolés ou pour mieux m’exprimer l’égoïsme, l’orgueil et la cupidité qui ont mis en jeu le fanatisme. » Si l’Assemblée nationale ne prend aussitôt des mesures pour faire punir les coupables qui ont fomenté ces insurrections, les ennemis de la Révolution s’encourageront à tout entreprendre et vous allez voir que le tocsin va sonner et qu’on fondra sur eux. « J'ai trouvé le chemin bordé de paysans pendant deux lieues: ils me demandaient si je leur conseillais de sonner les cloches et de se rassembler au nombre de cinq ou six mille, pour aller au secours de Montauban. Je leur ai répondu que l’Assemblée nationale ne le voulait pas, qu’il fallait rester encore tranquilles : tout est en alarmes, Je vous prie de bien peser que si la loi martiale avait été publiée, rien ne serait arrivé. « Ce matin les compagnies de nouvelle création, composées de la lie du peuple, allaient dans toutes les maisons des protestants pour y fouiller, en disant qu’on y avait caché des armes. Elles n’en sortaient qu après les avoir menacés et outragés de plusieurs manières. J’ai vu entrer ces fanatiques, au nombre de vingt chez M. Mar-couis, minotier, à qui ils ont enlevé ses armes. Où est donc la liberté? Si cela continue, les fortunes et l’industrie abandonneront cette malheureuse ville et l’émigration aura lieu comme à la révocation de l’édit de Nantes, dont la France se ressent encore. M. Ruffio, dont l’assassinat consterne les bons citoyens, avait une fortune de 800,000 livres et faisait vivre le peuple. Lespau-vres protestants sont à demi-morts. On fit courir, hier soir à 5 heures, dans toutes les rues, pour dire à tout le monde de ne pas porter la cocarde nationale. Faites attention à la messe que firent dire les dames de Laforce ; on ne peut porter le fanatisme plus loin. » M. Vieillard, après cette lecture, poursuit : Voilà, Messieurs, les deux lettres qui nous donnent connaissance de cet événement malheureux. Le courrier porteur de ces lettres nous a dit que les dragons nationaux ont été conduits dans toute la ville pour faire amende honorable; deux officiers municipaux marchaient à la tête de ce cortège. Le comité des rapports ne vous présentera qu’un décret provisoire conçu en ces termes : « L’Assemblée nationale décrète que son président se retirera devers le roi, pour le supplier de prendre les mesures les plus promptes et les plus efficaces pour rétablir l’ordre dans la ville de Montauban ; ordonne que la cocarde nationale soit reprise et place les non-catholiques sous la sauvegarde spéciale de la loi. L’Assemblée nationale décrète, en outre, qu’il sera pris les mesures les plus efficaces pour poursuivre et faire puuir tout officier qui, par quelque négligence dans ses fonctions, aurait occasionné le trouble, et tout citoyen qui l’aurait fomenté. » M. de Cazalès. Je propose d’ajouter, par amendement, que le roi sera supplié de donner les ordres nécessaires afin de punir et de découvrir tous les auteurs des troubles qui ont affligé la ville de Montauban. (M. de Gazalès fait lecture d’une lettre écrite de Montauban à M. de Malartre, député, par M. de Malartre, son frère.) M. Eaicas. Tous les désordres sont venus de ce que la municipalité avait désarmé la garde nationale pour former une nouvelle troupe très suspectée. Celui qui écrit cette lettre est capitaine d’une des nouvelles compagnies. M de Cazalès reprend la lecture de la lettre... «Les protestants et les dragons se rendirent, dégui sés, et avec leurs armes, à l’Hôtel-de-Ville, dont ils s’emparèrent. Cet événement fut raconté à l’assemblée des Cordeliers : le peuplesortit en fureur. Dans l'espoir de le calmer, les gentilshommes le suivirent sans armes. Arrivés ài’Hôtel-de-Ville, ils mirent l’épée à la main ; ils essuyèrent une décharge de la part des dragons ; trois personnes furent blessées, entre autres, M. de G ha u lac. Le peuple attaqua alors les dragons; ils furent acculés dans le grand corps-de-garde. Quatre ont été tués et huit blessés mortellement. Le régiment de Languedoc est venu à propos pour sauver le reste des dragons nationaux, qui ont été mis sous la sauvegarde de la noblesse. On a publié la loi martiale dans la cour do l’Hôtel-