[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 mai 1790.] 363 « Art. 36. Dans la coutume du grand Perche, si celui qui devait ci-devant porter la foi pour les puînés ou boursaux, veut racheter les droits casuels dont est tenu le fief boursal, il sera tenu de payer au propriétaire desdits droits, conformément à l’article précédent, les cinq sixièmes d’un droit de rachat, liquidé sur les évaluations portées par la coutume ; et, au moyen dudit rachat, il pourra exiger de ses puînés ou boursaux, la contribution dont ils étaient ci-devant tenus, lorsqu’il arrivera dans sa position du fief une mutation de la nature de celles qui donnaient lieu à cette contribution, et si les puînés ou boursaux veulent se racheter eux-mêmes vis-à-vis de leur aîné, de cette contribution, il lui sera payé les cinq douzièmes d’un droit de rachat, au payement desquels cinq douzièmes chacun des puînés ou bourseaux qui voudra se racheter, contribuera pour sa part et portion. » M. Moreau, député de Touraine. Je demande que l’article qui vous est soumis se rapporte à toutes les coutumes qui ont des dispositions semblables et je propose l’addition suivante : « Il en sera de même dans les pays et les lieux où les mêmes règles et les mêmes usages, ci-dessus rappelés quant à la coutume du grand Perche, ont lieu. » (La motion et l’amendement mis aux voix sont adoptés, sauf la rédaction quant à l’amendement.) M. Trouchet. Le comité féodal vous propose d’introduire dans la loi un article nouveau qui prendrait place après l’article 52 et qui est relatif aux intérêts des créanciers qui sont éloignés du domicile de leurs débiteurs. M. dauïtier de ESianizat. Gomme cet article pourrait causer un préjudice au débiteur, je demande le renvoi au comité. M. Gonpil de IVéfela. Je ne vois dans l’article aucun préjudice pour le débiteur et je m’oppose au renvoi. Plusieurs membres proposent des amendements. M. ï« comte de IL a üoqac fait la motion suivante : Messieurs, j’ai cru remarquer que quelques-uns de nos décrets relatifs aux rachats des droits féodaux n’étaient pas rigoureusement conformes aux lois de la plus exacte justice, et que le rachat en lui-même, et surtout le rachat partiel, était impolitique. Les pauvres censitaires seront toujours dans l’impossibilité de profiter de la faculté du rachat, et les propriétaires de fiefs seront totalement ruinés. D’ailleurs, le mode adopté du rachat partiel va produire une bigarure entre les fonds rédimés et les fonds encore grevés, bigarure qui sera la source d’un million de procès par l’extrême difficulté de discerner, dans la suite, les véritables limitées des uns et des autres. Enfin, ce système me paraît impolitique, parce que les propriétaires de fiefs ne pourront placer les petites sommes qu’ils recevront successivement, que sur de petites propriétés et que, par conséquent, ils tenteront toutes sortes de moyens de les réunir à leur domaine. Ainsi, cette opération tend à concentrer les propriétés foncières ; conséquence funeste, parce que personne n’ignore que les grandes propriétés sont moins bien cultivées que les petites, et que la prospérité d’un Etat agricole tel que la France dépend surtout des succès de l’agriculture. Je ne vous propose point, Messieurs, de revenir sur les décrets que l’Assemblée a rendus. Que ceux qui voudront profiter du mode de rachat décrété par l’Assemblée en profitent, rien de plus juste. Mais je vous propose de venir au secours des pauvres, et de remédier à une partie des inconvénients qui sont la suite inévitable de vos décrets. Il suffira pour remplir ce double objet d’adopter le décret suivant : L’Assemblée nationale, toujours guidée par les mêmes principes de soulager la classe indigente de la nation, et surtout celle des pauvres cultivateurs, et persistant dans la résolution d’effacer jusques aux moindres traces du régime féodal, a décrété et décrète ce qui suit : Art. 1er. Chaque département du royaume sera tenu de procéder à l’évaluation de tous les droits féodaux rachetables qui sont assis sur les fonds situés dans son arrondissement et d’en envoyer l’état aux législatures suivantes. Art. 2. Tout censitaire qui sera racheté des droits féodaux auxquels ses biens étaient soumis, sera tenu de donner, à chaque département dans lequel pourraient être situées les différentes propriétés foncières qu’il a rédimées de gré à gré, ou autrement, un état détaillé des devoirs féodaux par lui rachetés ; et d’en administrer la preuve dans le mois, à peine de nullité du rachat. Art. -3. Le directoire de chaque département cotera par émargement chaque article de remboursement à côté de l’article auquel il correspond. Art. 4. Aussitôt que l’extinction successive des rentes viagères aura produit un fonds annuel de douze millions, cette somme sera destinée uniquement au remboursement des droits féodaux non rachetés. Art. 5. Le 1er janvier 1794, les noms des 82 départements du royaume seront placés dans une roue dé fortune, et le premier nom qui sortira, indiquera le département auquel sont destinés les douze millions qui doivent être employés uniquement à racheter les droits féodaux de ce département. Art. 6. Le directoire paiera de préférence, et toujours en totalité, les propriétaires de fiefs auxquels il sera dù moindres sommes, réservant les plus fortes pour les derniers payements. Art. 7. Si, comme il y a lieu de le croire, sur ies douze millions destinés à cet usage, il existe un reliquat, il sera annexé aux douze millions de l’année suivante, et dans le cas contraire le département recevra ce qu’il lui manque sur les douze millions du tirage suivant. Art. 8. Le 1er janvier 1795, et chaque année, à pareille époque, tous les procédés contenus daùs les articles précédents, seront observés jusqu’à ce que la France soit entièrement délivrée de tous les droits féodaux. M. Tronche!, rapporteur , adopte quelques-unes des modifications proposées et il les fond dans l’article, ainsi qu’il suit : Art. 53. « Les offres tendant au rachat des droits seigneuriaux, fixes ou casuels, seront faites au chef-lieu du fief dont dépendront les droits rachetables; pourront néanmoins les parties liquider les rachats, et en opérer ie payement, en tei lieu qu’elles jugeront à propos. Dans ce der- ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 304 [Assemblée nationale.] nier cas les payements qui seront faits en conséquence d’un certificat délivré par le greffier des hypothèques, ou par celui du siège royal, qu’il n’existait point d’oppositions, seront valables, nonobstant les oppositions qui seraient survenues depuis, pourvu que la quittance ait été contrôlée dans le mois de la date dudit certificat. » (Cet article, mis aux voix, est décrété par l’Assemblée, qui l’adopte sauf rédaction.) M. Tronchet, rapporteur. Le comité me charge de vous proposer un dernier article concernant les fermiers, qui prendrait place à la suite de l'article 56. Il est ainsi conçu: Art. 57. « Il sera libre aux fermiers qui ont ci-devant pris à bail les droits casuels d’un ou plusieurs fiefs, sans mélange d’autres biens, ou dont les baux ne comprendraient avec lesdits droits casuels que des droits supprimés sans indemnité par le décret du 15 mars, de remettre leurs baux, sans pouvoir prétendre, à l’égard desdits droits casuels, d’autre indemnité que la restitution des pots-de-vin et fermages payés d’avance au prorata de la jouissance. « À l’égard des fermiers qui ont pris à bail les droits casuels avec d’autres biens, ils percevront tous les droits casuels qui écherront pendant le cours de leur bail, sur les fonds qui n’auront point été rachetés, ou sur lesquels ils seront dus, nonobstant le rachat, et s’ils survient sur des fonds rachetés, des mutations qui eussent donné lieu à un droit casuel, le propriétaire du fief auquel le droit aurait appartenu, en tiendra compte au fermier, à la déduction néanmoins d’un quart sur le montant dudit droit. « A l’égard des redevances fixes et annuelles qui seraient rachetées pendant le cours du bail, le propriétaire desdits droits en tiendra compte annuellement au premier, par diminution sur le fermage. » (Cet article est mis aux voix et adopté.) M. Merlin donne ensuite une nouvelle lecture de la série entière des articles adoptés avec leur numéro d’ordre. Le décret est rendu ainsi qu’il suit : TITRE IV. Des principes , du mode et du taux du rachat des droits seigneuriaux déclarés r achetables par les articles I et II du titre III du décret du 15 mars. PREMIÈRE DIVISION. Principes généraux. « Art. 1er. Tout propriétaire pourra racheter les droits féodaux et censuels dont son fonds est grevé, encore que les autres propriétaires, de la même seigneurie, ou du même canton, ne voulussent pas profiter du bénéfice du rachat; sauf ce qui sera dit ci-après à l’égard des fonds chargés de cens ou redevances solidaires. « Art. 2. Tout propriétaire pourra racheter lesdits droits à raison d’un fief ou d’un fonds particulier, encore qu’il se trouve posséder plusieurs fiefs ou plusieurs fonds censuels, mouvants de la même seigneurie, pourvu néanmoins que ces fonds ne soient pas tenus sous des cens et redevances solidaires ; auquel cas le rachat ne pourra pas être divisé. [3 mai 1790.] « Art. 3. Aucun propriétaire de fiefs ou fonds censuels ne pourra racheter divisement les charges et redevances annuelles dont le fief ou le fonds est grevé, sans racheter en même temps les droits casuels et éventuels. « Art. 4. Lorsqu’un fonds tenu en fief ou en censive, et grevé de redevances annuelles solidaires, sera possédé par plusieurs copropriétaires, l’un d’eux ne pourra point racheter divisé-ment lesdits redevances au prorata de la portion dont il est tenu, si ce n’est du consentement de celui auquel la redevance est due ; lequel pourra refuser le remboursement total en renonçant à la solidarité vis-à-vis de tous autres codébiteurs ; mais il sera tenu de racheter la redevance entière ; et quand le redevable aura fait le remboursement total, il demeurera subrogé aux droits du créancier, pour les exercer contre ses codébiteurs, à la charge de ne les exercer que comme pour une simple rente foncière, et sans aucune solidité ; et chacun des autres codébiteurs pourra racheter à volonté sa portion divisément. « Art. 5. Pourra néanmoins le copropriétaire d’un fonds grevé de redevances solidaires, en rachetant, ainsi qu’il vient d’être dit, la redevance entière, ne racheter les droits casuels que sur sa portion, sauf au propriétaire du fief à continuer de percevoir les mêmes droits casuels sur les autres portions du fonds et sur chacune d’elles divisément, lorsqu’il y aura lieu, jusqu’à ce que le rachat en ait été fait. DEUXIÈME DIVISION. Règles relatives aux qualités des personnes. « Art. 6. Pourront les propriétaires de fiefs ou de fonds censuels traiter avec les propriétaires de fiefs dont ils sont mouvants, de gré à gré, à telle somme et sous telles conditions qu’ils jugeront à propos, du rachat, tant des redevances annuelles, que des droits casuels ; et les traités ainsi faits de gré à gré entre majeurs ne pourront être attaqués sous prétexte de lésion quelconque, encore que le prix du rachat se trouve inférieur ou supérieur à celui qui aurait pu résulter du mode et du prix qui sera ci-après fixé. « Art. 7. Les tuteurs, curateurs et autres administrateurs des pupilles mineurs ou interdits, les grevés de substitution, les maris dans les pays où les dots sont inaliénables, même avec le consentement de la femme, ne pourront liquider les rachats des droits dépendant de fiefs appartenant aux mineurs, aux interdits, à des substitutions, et auxdites femmes mariées, qu’en la forme et au taux ci-après prescrits, et à la charge du remploi. Il en sera de même à l’égard des propriétaires des fiefs, lesquels par les titres sont assujettis au droit de réversion en cas d’extinction de la ligne masculine, ou dans d’autres cas ; le redevable qui ne voudra point demeurer garant du remploi, pourra consigner le prix du rachat, lequel ne sera délivré aux personnes qui sont assujetties au remploi, qu’en vertu d’une ordonnance du juge, rendue sur les conclusions du ministère public, auquel il sera justifié du remploi. « Art. 8. Lorsque le rachat aura pour objet des droits dépendant d’un fief appartenant à une communauté d’habitants, les officiers municipaux ne pourront le liquider que sous l’autorité et avec l’avis des assemblées administratives du