704 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 novembre 1789.] ASSEMBLÉE NATIONALE, PRÉSIDENCE DE M. CAMUS-Séance du vendredi 6 novembre 1789 (1). La séance a commencé par la lecture du procès-verbal de celle du jour précédent. Cette lecture a été suivie de celle de plusieurs adresses de villes et communautés portant adhésion aux décrets de l’Assemblée nationale ; ü’une délibération des dignitaires, chanoines et chapitre de l’église collégiale de Lure, par laquelle ils déclarent solennellement adhérer, avec une admiration respectueuse, à tous les arrêtés faits et à faire par l’Assemblée nationale ; D’une adresse de félicitations, remerciements et adhésion des communes et ville de Gombourg en Bretagne, lesquelles demandent une municipalité et un siège royal ; D’une adresse et délibération de la communauté de Rauterive en Agénois, contenant félicitations et remerciements à l’Assemblée nationale, et l’adhésion la plus formelle au décret concernant la contribution patriotique du quart des revenus de chaque citoyen ; D’une adresse du comité municipal de la ville de Bonnétable au Maine, où il exprime son vœu de voir accueillir par l’Assemblée nationale la motion de M. l’évêque d’Autun, concernant les biens ecclésiastiques ; D’une délibération de la ville de Rethel, contenant remerciements et l’adhésion ta plus entière aux décrets de l’Assemblée nationale ; D’une adresse des officiers municipaux et habitants de la ville de Belmont, diocèse de Vabres en haute Guyenne, où ils supplient l’Assemblée nationale de préserver la ville du préjudice immense que lui causerait la destruction de son chapitre collégial, qui, soit pour le bien spirituel de la paroisse, soit pour l’éducation de la jeunesse, lui rend les services le plus importants : ils réclament avec instance sa conservation et môme son amélioration ; D’une délibération du conseil permanent de la ville d’Auch, où il adhère au décret de l’Assemblée nationale, du 5 octobre dernier, par lequel elle se déclare inséparable de la personne du Roi pendant la présente session, et applaudit en conséquence à sa translation dans la capitale. À la suite est une rétractation des députés composant la chambre ecclésiastique d’Auch, des supplications qu’ils avaient adressées au Roi, touchant la suppression des dîmes ; à l’exemple de la ville d’Auch, cette chambre adhère formellement aux arrêtés de l’Assemblée nationale des 4 et 10 août dernier ; D’une adresse de trois religieux bénédictins de l’abbaye de Tiron en Normandie, qui adhèrent, avec un respectueux dévouement, aux résolutions que l’Assemblée nationale pourra prendre touchant les biens ecclésiastiques et les ordres religieux ; mais, en cas de suppression, ils la conjurent de leur accorder la liberté avec une honnête pension ; D’une adresse de M. Mayereaux de Pancemont, curé de Saint-Sulpice, qui instruit l’Assemblée nationale que les religieux de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés distribuent chaque année des aumônes immenses dans la paroisse, et que surtout dans le dernier hiver, si cruel, nul n’a été aussi saintement prodigue que l’ont été ces religieux : au nom de l’humanité et de la religion il réclame la conservation particulière de l’abbaye de Saint-Germain, soit par estime pour ses religieux, qui de tout temps se sont voués à des études importantes, à de grandes entreprises littéraires, soit par rapport à la précieuse bibliothèque dont ils sont les fondateurs, les gardiens, et qui peut dépérir dans des mains moins habiles, soit à cause des biens infinis qu’ils font dans sa paroisse, dont ils sont les bienfaiteurs habituels ; D’une délibération de la ville de Valence en Dauphiné, par laquelle elle adhère de nouveau, au péril de la vie et de la fortune de ses citoyens, à tous les décrets de l’Assemblée nationale, sanctionnés par le Roi, forme opposition à la tenue des Etats de la province, et proteste contre tout ce qui pourra y être délibéré de contraire aux décrets de l’Assemblée, et ordonne le payement des impositions, charge les receveurs d’user de contrainte contre les redevables en retard, à peine d’en être responsables, et cherche à encourager, par tous les moyens qui sont en son pouvoir, les dons patriotiques. M. Hébrard, membre du comité de vérification, a rendu compte des pouvoirs de M. Rœderer, député direct de la ville de Metz, et de ceux de M. Tréhotde Clermont, suppléant de M. Le Guillou de Kérineuf, député de Quimper démissio-naire : ces pouvoirs étant en règle, MM. Rœderer et Tréhot de Clermont ont été admis. M. le Président fait lecture d’une lettre, par laquelle le maître de la chambre des bâtiments annonce qu’il résulte, d’une visite très-scrupuleuse faite de fa salle construite au manège pour recevoir l’Assemblée, que les députés et le public n’y courront aucuns risques pour leur sûreté et leur santé. Une lettre de M. le garde des sceaux accompagne l’envoi d’une expédition en parchemin du décret relatif aux parlements, et annonce que la chambre des vacations de celui de Paris a enregistré ce décret. M. le duc de Bouillon offre plusieurs sommes à prendre sur divers objets, et qui réunies, forment celle de 332,484 livres, excédant de beaucoup le quart de son revenu. Ce jour est destiné à des discussions sur les finances. M. le duc d’Aigutllon, président du comité des finances. Le comité des finances n’a pas, dans ce moment, de point de travail arrêté à présenter à l’Assemblée. Les motifs de son silence sont : Premièrement, la translation et le défaut d’un local convenable qui ont empêchéjla réunion de tous les membres qui composent ce comité ; Secondement, quelques retards dans l’impression des états de finance concernantles revenus, les dépenses et les pensions ; Troisièmement, la connaissance qu'avait le comité que M. Necker devait incessamment présenter un plan de banque nationale. Plusieurs membres témoignent des inquiétudes sur les causes qui ont pu faire différer l’impression de l’état des pensions. M. le duc d’Aiguillon calme leurs craintes, en assurant que les épreuves sont déjà entre ses mains. M. Bouche propose de décréter la suppression de toutes les pensions au-dessus de 300 li-(1) Cette séance est incomplète au Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 novembre 1789.] 705 vres, sous quelque titre que ce soit, sauf aux pensionnaires à les l'aire rétablir en tout ou en partie, en indiquant l’époque et les motifs des pensions, l’Assemblée se réservant de réduire ou de supprimer toutes celles qu’elle croira susceptibles de suppression ou de réduction. M. le comte dcllirabeau. Le préopinant ne pense pas à l’effet de sa motion; il ferait manquer de pain quarante mille personnes avant qu'on eût examiné si elles ont le droit de vivre ; il oublie, dans son zèle patriotique, que beaucoup de pensions et de grâces, très-faiblement tarifées sur des blessures ou de longs services, s’élèvent cependant au-dessus de 3ü0 livres. Peut-on, en attendant, laisser mourir des malheureux, parce qu’ils n’ont pas été tués par les coups de fusil qu’ils ont reçus ? La motion de M. Bouche est ajournée. M. le comte de Mirabeau. Messieurs, si les orages qu’élève l’établissement de notre liberté sont inévitables, s’ils servent peut-être à donner aux lois constitutionnelles dont nous nous occupons un degré de sagesse que le calme et le défaut d’expérience ne nous suggéreraient pas, les désordres qui se multiplient dans nos finances sont loin de nous offrir aucune compensation ; il en est même dont l’aggravation peut enfin rendre tous nos travaux inutiles ; et, de ce nombre, le désordre le plus fâcheux est, sans contredit, la disparition de notre numéraire. Une nation habituée à l’usage du numéraire, une nation que de grands malheurs ont rendue défiante sur les moyens de le suppléer, ne peut pas en être privée longtemps sans que le trouble s’introduise dans toutes ses transactions, sans que les efforts des individus pour les soutenir ne deviennent de plus en plus ruineux, et ne préparent de très-grandes calamités. Elles s’approchent à grands pas, ces calamités. Nous touchons à une crise redoutable; il ne nous reste qu’à nous occuper, sans relâche et sans délai, des moyens de la diriger vers le salut de l’Etat. Observez, Messieurs, que non-seulement le numéraire ne circule plus dans les affaires du commerce, mais encore que chacun est fortement sollicité pour sa propre sûreté à thésauriser, autant que ses facultés le lui permettent. Observez que les causes qui tendent à faire sortir le numéraire du royaume, loin de s’atténuer, deviennent chaque jour plus actives, et que cependant le service des subsistances ne peut pas se faire, ne peut pas même se concevoir sans espèces. Observez que toutes les transactions sont maintenant forcées ; que, dans la capitale, dans les villes de commerce, et dans nos manufactures, on est réduit aux derniers expédients. Observez qu’on ne fait absolument rien pour combattre la calamité de nos changes avec l’étranger; que les causes naturelles qui les ont si violemment tournés à notre désavantage s’accroissent encore par les spéculations de la cupidité; que c’est maintenant un commerce avantageux que d’envoyer nos louis et nos écus dans les places étrangères; que nous ne devons pas nousflat-ter assez d’être régénérés ou instruits pour que la cupidité fasse des sacrifices au bien public; qu’il y a trop de gens qui ne veulent jamais perdre, pour que la seule théorie des dédommagements ne soit pas dans ce moment très-meurtrière à la chose publique. lre Série, T. IX. Observez que les causes qui pourraient tendre au rétablissement de l’équilibre restent sans effet; que l’état de discrédit où les lettres de change sur Paris sont tombées est tel, que dans aucune place de commerce on ne peut plus les négocier. Observez qu’elles ne nous arrivent plus par forme de compensation, mais à la charge d’en faire passer la valeur dans le pays d’où elles sont envoyées ; en sorte que, depuis le trop fameux système, il ne s’est jamais réuni contre nous un aussi grand nombre de causes, toutes tendant à nous enlever notre numéraire. 11 est sans doute des circonstances que les hommes ne maîtrisent plus lorsque le mouvement est une fois donné. Mais on a méprisé des règles d’autant plus indispensables, que l’administration des finances devenait plus épineuse ; on a oublié que le respect pour la foi publique conduit toujours à des remèdes plus sûrs, à des tempéraments plus sages, que l’infidélité. On semble s’être dissimulé qu’au milieu des plus grandes causes de discrédit une religeuse observation des principes offre encore du moins les ressources de la confiance. Rappelez-vous, Messieurs, qu’à l’instant où vous eûtes flétri toute idée de banqueroute, j’ai désiré que la caisse d’escompte devînt l’objet d’un travail assidu. 11 était tout au moins d’une sage politique de montrer que nous sentions la nécessité de son retour à l’ordre, et cependant je fus éloigné à plusieurs reprises de la tribune ; on me força, en quelque sorte, à garder au milieu de vous le silence sur des engagements qu’il ne pouvait convenir sous aucun rapport de mépriser. Qu’en est-il arrivé? l’imprévoyance des arrêts de surséance accordés à la caisse d’escompte, en même temps qu’on lui laissait continuer l’émission de ses billets : cetle imprévoyance augmente tous les jours le désordre de nos finances. La caisse nous inonde d’un papier-monnaie de l’espèce la plus alarmante, puisque la fabrication de ce papier reste dans les mains d’une compagnie nullement comptable envers l’Etat, d’une association que rien n’empêche de chercher, dans cet incroyable abandon, les profits si souvent prédits à ses actionnaires. Arrêtons-nous, Messieurs, un instant sur ces funestes arrêts de surséance. On a oublié, en les accordant, que la défiance consulte toujours; que sans cesse elle rapproche les événements pour les comparer ; que l’expérience nous montre partout la nécessité du numéraire réel pour soutenir le numéraire fictif; qu’il n’est aucune circonstance où l’on puisse, en les séparant, faire le bien de la chose publique. Dans quelles contrées ces vérités devaient-elles être mieux présentes à l’esprit ? qui mieux que les Français a connu les désordres auxquels on s’expose dès que l’on détruit toute proportion entre les deux numéraires ? Il ne faut donc pas s’étonner si les étrangers se sont alarmés dès qu’ils ont vu que nous nous exposions de nouveau aux suites de cette imprudence. Ils ne pouvaient pas méconnaître une conformité évidente entre la banque de Law et la caisse d’escompte : la première avait lié son sort à celui de la dette publique; la seconde en a fait autant. Il ne faut pas s’étonner si, dans cet état de choses, M. Necker n’a rassuré les étrangers un inslant que pour les effrayer sans mesure. Sa réputation même s’est tournée contre le crédit public; en voyant un administrateur aussi cé-45