174 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [90 août 1790.J plus touchante de toutes, d’être associé à une compagnie qui a mérité de grands succès et obtenu une grande célébrité. L’Académie française, Messieurs, n’a pas certainement autant de titres, si vous la considérez dans ses rapports avec l’utilité publique. Et cependant, Messieurs, elle n’a point été, elle ne sera point encore sans influence sur la prospérité, sur la réputation même de la France. Il vous manque des historiens, et c’est surtout aujourd’hui que vous devez aspirer que vous pouvez prétendre à en avoir. Il vous faut des écrivains politiques qui défendent les grands intérêts de votre Constitution, qui la rendent chère à vos concitoyens. Avec des mœurs nouvelles, il vous faudra de nouveaux génies pour la peindre , et déjà vos théâtres appellent d’autres Corneilles et d’autres Molières pour offrir à ce peuple, jusqu’ici étranger aux plaisirs de la scène, des caractères et des actions qui le corrigent et l’instruisent, Tous les hommes, Messieurs, vous ne les obtiendrez qu’en leur offrant avec quelques grâces pécuniaires, la vaine fumée des litres et des distinctions. Et vous avez tout cela dans l’Académie française. Avec une dépense de 25,000 livres vous créerez encore des génies, et ces génies-là vous attireront encore l’argent du reste de l’Europe. Le premier article du décret met tous ces établissements sous la protection du roi. Cette disposition a paru sortir de la ligne constitutionnelle, et je ne sais pas pourquoi elle l’a paru. Tous les citoyens, tous les établissements doivent être protégés par le roi. Il doit donc aussi protéger les académies. Mais j’ai cru, moi, qu’il était important de les recommander à sa protection plus particulière. Elles ont besoin de son appui ; mais sous une administration parcimonieuse, telle que doit être la nôtre, elles auront encore besoin de ses bienfaits. Il y a des expériences à faire, des machines à construire, quelquefois des voyages à entreprendre pour le progrès des sciences; c’est à ces dépenses extraordinaires qu’il faut intéresser les rois. Le Corps législatif ne peut jeter sur ces établissements qu’uu coup d’œil rapide, toujours distrait par des intérêts plus pressants ; il faut donc que les encourager, les faire fleurir, devienne une occupation chère au monarque, qu’il s’y attache comme à son patrimoine. Je vais vous révéler, Messieurs, un grand secret: pour les distraire des affaires publiques , je leur demanderai des questions de grammaire à déci - der, disait le fondateur de l’Académie française. Moi, Messieurs, je vous dirai : vous avez repris aux rois, ou plutôt à leurs ministres, le pouvoir de faire les lois, le pouvoir de faire des conquêtes, le pouvoir de remuer les fondements de la monarchie. Abandonnez-leur ces hochets séduisants et cette gloire innocente ; qu’on les vante comme les restaurateurs des sciences et des arts, les amis et les pères des lettres, et que, dans ces distractions, ils oublient la passion des ministres et des rois. Je n’ai pas besoin de justifier le dernier article; celui qui établit un prix national et oblige les académies à vous rendre compte de leurs travaux; c’est par cette disposition que tous les lierez à la chose publique, que vous perpétuerez leur émulation et leur succès. M. Lanjninafs. Les académies et tous les corps littéraires doivent être libres et non privilégiés ; il doit être permis à tous ceux qui eu ont le goût, de se réunir en société pour l’avancement des sciences; il ne doit point y avoir de privilèges pour ces sociétés, car elles deviendraient des jurandes. Il n’y a pas quinze ans que l’Académie des sciences obtint la suppression d’une société très intéressante qui se formait sous le nom de Société des Arts. Les académies privilégiées et pensionnées sont des foyers d’aristocratie littéraire et civile; la plupart de leurs membres ont contrarié ia Révolution par leurs discours et par leurs écrits. L’Académie française surtout, sur laquelle le gouvernement a non pas une autorité directe comme sur les autres, mais une autorité d’influence très efficace, est un établissement dangereux dans uu gouvernement libre. L’éloquence ne consiste plus à aligner froidement quelques phrases ingénieuses et correctes. Voltaire, cet écrivain prématuré, malgré ses supplications avilissantes, n’a été de l’Académie qu’à cinquante anset n’eD était pas moins Voltaire. Rousseau, Raynal et Mably, dont je déteste les erreurs, mais dont j’admire le génie et les talents, ces hommes qui ont taut fait pour la Révolution n’étaient pas de l’Académie. Richelieu est le fondateur de l’Académie, le nom du fondateur indique assez le but de la fondation et l’expérience n’a que trop bien justifié les profonds desseins de cet orgueilleux despote, Le gouvernement avilissait les lettres, mais il réunissait, il protégeait, il dirigeait, les littérateurs pour les corrompre et façonner par leurs mains ce peuple à la servitude. Vous avez une académie de peinture et de sculpture. Il y a, dans ce moment, les plus fortes réclamations contre sou despotisme. Le monopole et les dépenses de la société royale de médecine excitent les plus justes plaintes. Qu’on nemedise pas que si le gouvernement ne paye plus les académies èt les autres sociétés d’art et de sciences, elles se dissoudront. Je chéris trop la gloire des arts, des lettres et des sciences, gloire évidemment liée à la gloire des empires, pour vous proposer rien qui puisse en altérer l’éclat. En Angleterre, en Allemagne, le gouvernement ne les paye pas et il en existe un grand nombre. Le gouvernement n’a pas institué les sociétés patriotiques et il y en a aujourd’hui plusieurs de très florissantes. Les hommes qui ont les mêmes goûts chercheront toujours à se réunir et à se désigner mutuellement à leurs semblables. Déjà une société des arts, une société d’histoire va se former en cette ville sous les auspices de la liberté. Aussi il se formera des sociétés littéraires à volonté, mais mieux composées et plus utiles. On dit que les académies privilégiées font de grands travaux ; ces grands travaux sont toujours mieux faits et plutôt achevés par des particuliers; je citerai, par exemple, Je dictionnaire de Johnson : les actes de Rymen, la biographie anglaise, le dictionnaire de ühambers, celui de Bayle, les œuvres de Montfaucon, deMacillas, etc. Les entreprises littéraires payées par le gouvernement ne s’achèvent point ou que très lentement. Exemple : le dictionnaire du commerce, le Froissard depuis douze ans, le dictionnaire du [Assemblée nationale.] ARCHIVES [PARLEMENTAIRES. [20 août 1790.} 47g vieux langage, etc., etc. Ducrogne a terminé le sien; mais il n’était pas payé pour le faire. Les gens de lettres, d’ailleurs, savent bien s’associer pour les travaux sans former une académie. C’est ainsi que se fait l’Encyclopédie. J’ai déjà dit qu’il y aurait des académies très actives, quoiqu'elles ne fussent ni payées, ni privilégiées; j’avancerai qu’elles seront plus riches et plus florissantes. Le gouvernement n’a presque rien fait à cet égard, que de mesquin ou d’inutile et dangereux, au lieu que des particuliers riches placent leur gloire à féciliter les progrès des connaissances. C’est l’exemple que donne à Londres M. Dancks. Mais les académiciens sont obligés de faire des mémoires. On Croit bien qu’ils y sont obligés, mais j’entends dire à des savants que la collection du Journal de physique, qui ne contient que les mémoires envoyés veiontairement par des particuliers, est infiniment plus instructive, mieux faite et plus précieuse que les vingt derniers volumes des mémoires de l’Académie des sciences. Enfin, les lettres se cultivent par goût, par passion et ne sont point un métier. La nation doit récompenser les succès, les services littéraires, comme les services civils et militaires; mais il faut que ces services aient été rendus; il faut qu’il n’y ait dans les arts, les lettres, les sciences, ni jurande, ni monopole. (Ce discours est fréquemment interrompu par des marques d’improbation ). M. l’abbé Grégoire. Le préopinant vient de soutenir une très mauvaise thèse, car s'il a parfaitement prouvé qu’on pût produire de bons ouvrages sans être d’aucune académie, il n’a pas prouvé que les sociétés savantes fussent inutiles. À l’appui de son opinion, il a cité des exemples qui témoignent contre lui, car les auteurs des ouvrages dont il vous a fait l’énumération étaient eux-mêmes membres ou d’académies, ou de congrégations, dans lesein desquelles ils avaientpuisé beaucoup de lumière. Il nous a cité des sociétés savantes d’Angleterre et d’Allemagne, qui subsistent avec éclat, sans être fondées par le gouvernement. Oui, mais elles ont des revenus assignés par la bienfaisance des particuliers et de ceux qui s’intéressent à leur succès. Telle est la société royale de Londres. Ces faits répondent à tout et l’expérience la plus certaine parle en faveur de ces établissements qui font la gloire des nations. Les nations doivent donc une faveur signalée à ces sociétés. Ces sociétés doivent être libres, la liberté est leur élément. Déjà plusieurs, telle que l’Académie française, ont une origine qui met tous leurs membres sur la ligne de l’égalité : je sais que beaucoup d’autres préparent des projels de règlements calqués sur les principes constitutionnels que vous avez décrétés. Sans doute, ils vous serontprésentés, et en soumettant ces sociétés à rendre annuellement compte de leurs travaux aux législateurs, vous établirez entre elles un foyer d’émulation. Quant à présent, je prie l’Assemblée à se borner au projet de décret qui suit : « L’Assemblée nationale décrète provisoirement et pour cette année le fonds de dépenses nécessaires pour les diverses académies et sociétés savantes, ainsi qu’ils lui sont présentés par son comités des finances et seront les dites académies et sociétés tenues de présenter, dans trois mois à rassemblée nationale, les projets de règlements qui doivent fixer leur constitution. » M. de Marinais. Je demande que cet objet soit renvoyé à l’époque où l’Assemblée s’occupera d’un pian d’éducation nationale. M. lia Réveillère de Lepeaux. Je propose seulement d’ajourner l’article premier du décret du comité qui met les académies sous le patronage du roi. M. Creuzé de Latoache. Je prie l’Assemblée du m’autoriser à lui présenter quelques nouvelles observations ( Voy . cette opinion annexée à la séance de ce jour). M. Camus. Il est indispensable de bâter la marche de nos travaux ; j’appuie donc la motion de M. l’abbé Grégoire qui tend à accorder provisoirement, pour cette année, les crédits proposés par le comité des finances. Cette motion est adoptée et les décrets suivants sont rendus : « L’Assemblée nationale décrète, provisoirement pour cette année, les états de dépense proposés par son comité des finances, pour les différentes académies et sociétés littéraires ci-après énoncées : » Académie française. « Art. l8r. Il sera payé, pour la présente année, du Trésor public à l’Académie française, la somme de 25,217 livres, savoir : « Au secrétaire perpétuel, pour appointements .................... 3,000 liv. « Pour écritures. ... . ........... 900 « Pour messe du jour de Saint-Louis ............................ 300 « Pour jetons, 358 marcs, à 57 1. 15 sous .......................... 20,717 « Pour entretien et réparation du coin ............................. 300 « Total ..................... 25,217 liv. « Art. 2. Il est, en outre, assigné chaque année 1,200 livres qui seront données sur le jugement de l’Académie, au nom de la nation, pour prix, à l’auteur du meilleur ouvrage qui aura paru, soit sur la morale, soit sur le droit public, soit enfin sur quelque sujet utile. » Académie des Belles-Lettres. « Art. 1er. Il sera payé, pour la présente ânnée et sans retenue, à l’Académie des belles-lettres, la somme de 43,908 livres, savoir : « 10 pensions de 2,000 livres.... « 5 de 800 livres. .. . . .......... « Au secrétaire perpétuel ........ « Pour la bibliothèque, les dessins, travaux particuliers, frais de bureau, bois, lumières, huissiers et supplément de prix ........ ....... « Jetons 208 marcs ............. « Entretien et réparation du coin. 20.000 liv. 4,000 1,000 6,600 12,008 300 « Total .......... . ....... 43,908 liv « Art. 2. Chaque année, il sera assigné sur le Trésor public, une sommede 1,200 livres, pour former un prix qui sera accordé sur le jugement de